Quand Barack Obama est entré dans cette course folle vers la présidentielle, nombreux étaient ceux qui trouvaient qu'il visait un peu haut, pour un jeune sénateur qui avait peu d'expérience à son actif au niveau national, et qui s'était davantage distingué par ses envolées oratoires que par ses interventions au Sénat.

C'était vrai. Mais c'était il y a un an.

Si Obama n'avait pas été évalué («vetted») comme l'avait été Hillary Clinton durant sa longue exposition aux regards du public, les primaires et la campagne présidentielle proprement dite auront fait passer cet homme à travers tant d'épreuves et tant de tests impitoyables qu'on peut dire maintenant qu'il a été non seulement «évalué», mais examiné en profondeur, jusque dans les replis les plus secrets de son passé.

 

L'homme qui émerge de cet extraordinaire exercice est grandi par rapport à l'image un peu trop romantique que l'on s'en faisait au départ. Cet homme n'est pas qu'un orateur capable d'électriser les foules - ce que n'importe quel démagogue peut faire. Ce n'est pas qu'un intellectuel doué (combien en a-t-on vu, de ces grands esprits qui ont lamentablement échoué en politique...).

L'homme réel qui s'avance à grandes enjambées vers - peut-être - la victoire est un leader habile et réfléchi, qui a évité tous les pièges qui auraient pu l'entraver, et qui est assez sûr de lui pour s'entourer de conseillers qui en connaissent plus que lui. Un leader qui possède l'«intelligence émotionnelle», le sens de l'écoute et la dignité innée qui manquent à tant de chefs d'État. On l'a vu à son refus de répliquer aux coups bas par des coups bas. Un leader capable de mobiliser les gens, des grands donateurs aux plus modestes travailleurs d'élection, à un degré sans précédent. Capable, aussi, de diriger et d'inspirer cette gigantesque machine électorale qui l'a porté sans faillir jusqu'aux portes de la Maison-Blanche.

L'homme que cette dure campagne a fait connaître semble à la hauteur de la fonction convoitée, pour ne pas parler du merveilleux symbole que constituerait la victoire d'un Noir dans un pays qui, il n'y a pas 40 ans, vivait encore dans la honte de la ségrégation.

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À l'inverse, la campagne a fait apparaître un John McCain autre que celui que l'on connaissait.

Au héros de guerre qui avait vaillamment refusé d'être libéré avant ses camarades de sa prison vietnamienne, au sénateur débonnaire qui avait souvent eu le courage de voter contre son parti et de prendre des positions progressistes sur des questions aussi sensibles que la torture, l'environnement, l'immigration ou la taxation, allait succéder un tout autre homme.

Un homme impulsif et instable, qui allait au fil des semaines renier toutes ses positions antérieures (sauf peut-être en ce qui concerne la torture, un fléau dont il a lui-même souffert), et qui, sous la pression, perd la boussole. On l'a vu avec l'inqualifiable comportement qu'il a affiché lors de l'explosion de la crise financière, multipliant les déclarations contradictoires, faisant mine de suspendre sa campagne pour se consacrer exclusivement à la crise... un coup d'éclat enfantin auquel Obama a sagement répliqué qu'un président est censé pouvoir s'occuper de plusieurs dossiers à la fois!

Son tempérament irritable est ressorti lors des débats télévisés. Face à un Obama maître de ses émotions, McCain grimaçait et ricanait, incapable de regarder son adversaire en face. Il avait l'air d'un «Angry Old Man».

On a vu aussi qu'il serait plus va-t-en-guerre que le Bush du second mandat, instruit et accablé par le poids des morts et des blessés résultant de la tragédie irakienne. McCain, au contraire, semble dangereusement enclin à diviser le monde en bons et en méchants.

Mais bien sûr, la pire décision de McCain - celle qui illustre un manque de jugement très inquiétant - aura été de choisir comme colistière, après l'avoir rencontrée seulement deux fois, une ignare doublée d'une fanatique. Un autre geste désespéré, cette fois pour se rallier la base intégriste du parti... mais un geste qui placerait le monde entier sur un volcan s'il devait décéder en cours de mandat. McCain se croirait-il immortel? Quoiqu'il en soit, ce choix dérisoire est devenu son boulet principal. John McCain aura été l'artisan de son propre malheur.