Mauvais débat, mauvais show. Si ce que voulaient les télédiffuseurs, dans leur pathétique recherche du plus bas commun dénominateur, c'était un talk-show divertissant, ils ont raté leur coup. Bien des gens, excédés, se seront empressés de zapper au plus vite, pour échapper à la cacophonie et à la vision, ô combien déprimante, que donnaient d'eux-mêmes ceux que l'on appelle nos leaders.

Un débat? Quel débat? Il n'y a pas eu de débat. Seulement la réédition des cassettes dont quiconque a suivi cette campagne électorale est déjà familier. Aucun des chefs n'a eu le loisir d'expliciter ses projets ou d'étayer ses critiques.

Comment l'auraient-ils pu? Chacun d'eux, lorsqu'il avait la chance de prendre le micro, était pressé par un minutage ridiculement serré, et en même temps harcelé par les hurlements de ses adversaires, sous l'oeil goguenard d'un animateur qui avait l'air de trouver l'affaire très drôle et avait du mal à cacher sa satisfaction devant la tournure des événements. Ses patrons (les télédiffuseurs) voulaient de l'action, il y en avait!

À un moment donné, on est même venu près du contact physique, alors que Mario Dumont est venu à deux doigts de toucher Jean Charest à l'épaule. Quant à Pauline Marois, un peu plus et elle se dévissait de sa chaise, entraînée par son index perpétuellement brandi vers les deux autres. Si Jean Charest s'est montré assez sobre, comme le voulait son statut de premier ministre et de meneur dans les sondages, la palme de l'indiscipline revient à la chef péquiste, qui n'a eu de cesse, du début à la fin, de couper la parole à ses adversaires et de les interrompre constamment par des protestations ou des interjections.

L'exercice a été moins échevelé que les débats de la campagne fédérale. Mais ces derniers avaient au moins l'excuse de mettre en scène cinq leaders, dont l'une n'aurait même pas dû être là.

Il n'y avait pas de raison pour que le débat de mardi aboutisse à une telle foire d'empoigne: les participants n'étaient que trois et parlaient tous leur langue maternelle. Si la formule avait été plus respectueuse de l'intelligence du téléspectateur et si l'animateur avait joué son rôle de modérateur et interdit aux participants d'interrompre celui qui avait la parole, on aurait pu avoir quelque chose comme un débat relativement instructif.

La formule, bâtarde, avait prévu des débats à deux, ce qui était une amélioration par rapport à la mêlée des débats fédéraux, mais ces face-à-face étaient trop brefs pour produire un dialogue le moindrement consistant. En outre, le modèle de la table ronde est vicié au départ, car il place, par définition, le premier ministre sortant dans la position du gibier contre lequel s'acharne unanimement l'opposition.

Que le premier ministre doive répondre de ses actes, c'est évident: c'est pour cela qu'on a des campagnes électorales. Mais les débats télévisés entre les chefs doivent être soumis à un cadre rigoureusement neutre. C'est ainsi que les choses se passent dans les pays sérieux. Voir le débat Royal-Sarkozy lors de la campagne présidentielle en France. Voir les débats, toujours très dignes, des primaires et de la campagne présidentielle aux États-Unis...

Dans ce cadre piégé, Jean Charest a été, tout au plus, correct, quoique terne et sans allant, et pour tout dire très peu inspirant, comme s'il avait hâte d'en avoir fini avec cette étape obligée. Pauline Marois, quoique combative et en forme, n'a pas apporté plus de substance au débat et s'est beaucoup répétée.

Finalement, le personnage le plus sympathique du trio était Mario Dumont. Le seul à ne pas parler la langue de bois ou le langage des cassettes préenregistrées. Le seul à s'exprimer spontanément, sans même avoir de notes écrites sous les yeux. Le seul à parler comme une vraie personne parle à du vrai monde. Le seul enfin à proposer autre chose que le statu quo et à lancer des idées neuves, fussent-elles controversées. On s'attendait à ce qu'il sorte un lapin du chapeau ou qu'il se rabatte sur ses «clips» coutumiers. Ce ne fut pas le cas. Il avait l'air sérieux et sincère. Dommage qu'il n'arrive jamais à égaler, dans sa pratique politique, l'homme qu'il était dans ce débat.