Majoritaire, le gouvernement Charest... mais à peine. Il suffira de quelques démissions chez les libéraux et d'un changement d'humeur de l'ADQ pour que l'on se retrouve dans l'univers instable et belliqueux des gouvernements minoritaires. De quoi faire rêver les amateurs de coalitions!

Hier soir, les applaudissements étaient plus forts dans le camp des vaincus que chez les vainqueurs - et pour cause. Non seulement le PQ reconquérait-il l'opposition officielle, mais son score était bien meilleur que ce que les sondages avaient prévu.

Avant-hier encore, tout un chacun se demandait qui remplacerait Pauline Marois à la tête du parti. Ces spéculations sont désormais lettre morte. Mme Marois a outrepassé les attentes et restera bien en selle pour les prochaines années.

Autre coup de théatre, la victoire d'Amir Khadir dans Mercier.

Il était assez surréaliste de voir Françoise David, la co-porte-parole (sic) de Québec solidaire, s'emparer du micro et le garder longtemps, tandis que M. Khadir, le grand vainqueur de la soirée, poireautait à ses côtés.

Cette ridicule structure bicéphale ne tiendra pas longtemps. Parce qu'il sera le seul élu et qu'il aura la visibilité que lui conférera son siège à l'Assemblée nationale, M. Khadir deviendra de facto le véritable chef de ce parti. (N'invoquons surtout pas le cas de René Lévesque, dont le leadership n'a jamais été contesté même si, pendant six ans, il ne faisait pas partie de la petite opposition péquiste élue. Qu'il suffise de dire que Françoise David n'est pas René Lévesque... et que QS n'est pas le PQ.)

L'effondrement de l'ADQ a profité, semble-t-il, autant au PQ qu'aux libéraux... encore qu'avec sept députés, le parti n'est pas dans le coma que lui prédisaient les sondages. Cette défaite sonne cependant la fin de la carrière politique de Mario Dumont, dont on aurait souhaité qu'il puisse utiliser ses talents bien réels au sein d'une formation plus solide.

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Cette mince victoire de Jean Charest constitue la première fois qu'un premier ministre québécois est réélu pour un troisième mandat consécutif depuis Duplessis. C'est déjà une fleur à son chapeau, mais pour obtenir la médaille d'argent, plutôt que l'or qu'il convoitait, M. Charest a dû se métamorphoser complètement.

Le fédéraliste convaincu qui était le seul leader politique québécois de l'histoire contemporaine à connaître et à aimer le Canada, est devenu une sorte de mouture de Robert Bourassa, un nationaliste revendicateur et souverainisant qui ne se différencie des péquistes que par son refus de la sécession.

Il a aussi mis une sourdine à ses ardeurs partisanes, en se mettant à l'école des Nicolas Sarkozy et des Barack Obama, qui courtisent systématiquement l'adversaire (les socialistes dans le cas du premier, les républicains dans le cas du second). En fin de campagne, M. Charest tendait la main aux électeurs souverainistes, sous prétexte que l'unité est nécessaire pour passer à travers la crise économique. Mais il faut croire que les souverainistes ont préféré voter pour l'original que pour la copie.

M. Charest avait pourtant tout fait pour les séduire. Durant la campagne fédérale, il est allé jusqu'à se faire l'allié du Bloc, torpillant les quelques chances que Stephen Harper avait de récolter au Québec les sièges qui auraient pu lui assurer une majorité - un revirement que ce dernier a vu à bon droit comme une trahison, compte tenu du fait qu'il avait été, et de loin, le premier ministre fédéral le plus ouvert aux revendications du Québec.

M. Charest allait même repêcher, dans la liste poussiéreuse des «demandes» de Bourassa, l'idée de la «souveraineté culturelle» ... dont même le PQ ne parlait pas. Il fallait le faire.