Malgré les sombres prévisions économiques, les Québécois n'ont pas renoncé à l'idée d'offrir des cadeaux à leurs proches, du moins si l'on en juge par l'affluence des dernières semaines dans les magasins, avant les grands froids de vendredi et samedi et avant la somptueuse tempête de neige de dimanche. Et c'est tant mieux. Un cadeau, c'est un signe d'amour tangible. Malgré les oiseaux de malheur, les restaurants aussi étaient remplis, à l'approche de Noël. Encore une fois, tant mieux!

Outre qu'elle répond à des besoins personnels, la consommation a une utilité sociale: elle permet à des entreprises de croître, à tout le moins de survivre, et elle augmente, à tout le moins préserve, un très grand nombre d'emplois - des emplois convenables pour la plupart, accessibles aux travailleurs non-spécialisés. En ces temps incertains, acheter c'est participer modestement à la relance de l'économie.

 

Montréal n'est pas une région-ressource. Que serait-elle, sans le commerce?

La simplicité volontaire à laquelle en appellent de bons apôtres est un mode de vie qui peut plaire à certains originaux. Il y a encore des gens qui croient que les humains vivaient mieux à l'âge des cavernes, ou à l'époque où nos ancêtres s'échinaient sur des terres de roche alors que leurs femmes se faisaient déchirer les entrailles par des grossesses à la chaîne tout en lavant le linge à l'eau froide et en se levant à l'aube pour faire le pain. Mais la simplicité volontaire, un concept néo-puritain revenu à la mode à la faveur de la crise financière, n'est pas dans la nature humaine.

La consommation et le commerce n'ont pas été inventés par de vilains capitalistes et des publicitaires cupides. Ils existent depuis la nuit des temps. Le commerce, en vérité, est l'une des plus anciennes activités humaines.

Où croyez-vous qu'ils allaient, ces navires chargés d'amphores remplies de vin et d'huile d'olive qui sillonnaient la Méditerranée des siècles avant Jésus-Christ? Ils allaient vendre des produits à de lointains acheteurs, pour revenir chargés d'autres denrées, de la laine, de la vaisselle, des statuettes de bronze, que sais-je. Ils faisaient de «l'export-import»!

Le commerce, loin d'être une activité déshonorante, a même été à la source de la plus belle invention de l'Homme: l'écriture. Les tout premiers manuscrits trouvés en Mésopotamie, qui datent d'environ quatre millénaires avant notre ère, n'étaient pas des poèmes. C'étaient des contrats et des bilans comptables dressés par des commerçants. Des signes tracés sur des boules de glaise allait naître l'écriture cunéiforme...

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On l'aura compris, j'ai de la sympathie pour les petits commerçants, qui font le charme et le caractère des villes mais qui sont les éternels laissés-pour-compte de la politique parce qu'ils n'ont aucun poids électoral.

Quand la grêle détruit les récoltes ou qu'une épidémie attaque le bétail, les gouvernements s'empressent d'éponger les dettes des agriculteurs. Mais quand le verglas a frappé Montréal, plongeant tout le centre-ville dans la noirceur, qui donc a dédommagé les petits commerçants et leurs salariés, qui venaient de perdre plus d'une semaine de revenus? Personne, évidemment.

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Ce n'est pas prôner le gaspillage et l'endettement que de faire l'éloge (mesuré) de la consommation.

Les achats de la classe moyenne sont rarement extravagants. À l'approche de Noël, ils sont entièrement dominés par le souci de l'autre, par le désir de rendre ses proches heureux, de les surprendre avec un cadeau auquel ils ne s'attendent pas. Que sont les périples des parents dans les magasins, sinon des expéditions amoureuses destinées à faire le bonheur de leurs enfants?

Des rabats-joie vous diront qu'un enfant n'a pas besoin de toute cette panoplie de jouets qu'il va bientôt briser ou délaisser. C'est vrai, en principe. Mais alors, selon le même principe monastique, on n'a pas non plus besoin de bijoux, de parfums, de livres d'art et de vin mousseux.

S'il fallait ne s'en tenir qu'aux objets de première nécessité, nous cheminerions dans la vie comme des robots, sans plaisir, sans émotion, sans s'offrir à l'occasion ces petits luxes qui s'inscrivent dans le désir très humain de séduire ou de se gâter soi-même. Laissons la culpabilité au vestiaire!

Sur ce, chers lecteurs, je vous souhaite un Joyeux Noël, s'il est encore permis de dire ce mot-là!