La dernière sortie du président Sarkozy aura au moins eu le mérite de mettre un point final à une fiction. Non, la France ne sacrifiera pas ses intérêts nationaux pour faire plaisir aux cousins souverainistes du Québec. Le jour où ces derniers remporteront un référendum, cela sera, comme on dit, une autre paire de manches. Mais d'ici là, il ne sert à rien aux indépendantistes de quêter l'appui des Français à un projet auquel même la majorité de leurs troupes ne croit plus guère.

Nicolas Sarkozy a ceci de particulier qu'il se moque des usages diplomatiques et qu'il se laisse aller à des accès de colère intempestifs et parfaitement déplacés dans la bouche d'un chef d'État. Mais le fait demeure qu'aucun président français à part de Gaulle n'a pris parti pour l'indépendance du Québec. La plupart des politiciens français qui ont été les compagnons de route des souverainistes québécois venaient de la mouvance gaulliste, pour laquelle la perspective d'un Québec indépendant, se détachant de l'Amérique pour tomber dans le giron de la France, rappelait les grandeurs d'un empire révolu - une vision que détestait René Lévesque, lui qui était foncièrement pro-américain. Du côté de la gauche, seul Michel Rocard s'est manifesté, en 1980. Cela n'a évidemment pas changé un iota à la tournure de la campagne référendaire.

 

La fameuse maxime dont les péquistes pleurent la disparition («ni ingérence ni indifférence») était une formule diplomatique qui ne voulait pas dire grand-chose. Il est évident que le président Sarkozy n'avait pas, l'autre jour, l'intention de s'ingérer dans les affaires canado-québécoises. Il a d'autres chats à fouetter! Il a simplement exprimé son opinion avec la brutalité qui le caractérise dans bien d'autres dossiers. Ces jours-ci, les chercheurs français sont dans tous leurs états à cause d'un discours présidentiel jugé méprisant. Avant-hier, dans une seule intervention sur l'économie, M. Sarkozy a trouvé le moyen d'insulter à la fois la Grande-Bretagne «qui n'a plus d'industries», et la République tchèque, coupable d'avoir sur son sol une usine délocalisée de Peugeot-Citroën.

De toute manière, après que les Québécois eurent voté à deux reprises contre la souveraineté, le dossier est clos en France. Bien de l'eau a coulé sous les ponts, depuis 1995... En France, le mot «souverainisme» a mauvaise presse: il désigne ceux qui sont engagés dans des batailles d'arrière-garde contre l'Union européenne. Ce n'est pas par hasard que le «souverainiste» le mieux connu en France soit Jean-Pierre Chevènement, sympathisant de l'indépendance du Québec... et farouche adversaire de l'Europe.

La montée de lait de M. Sarkozy au sujet du Québec a eu peu d'écho dans la presse française, bien que les journalistes français se fassent un malin plaisir d'insister ad nauseam sur chacune des bourdes de leur président. (La fascination perverse des médias français pour Sarkozy mériterait une thèse. La classe intello-médiatique le déteste mais n'a de cesse d'en parler sous tous les angles, qu'il s'agisse de son mariage avec Carla ou de ses ressemblances, réelles ou inventées, avec Napoléon Bonaparte).

Le Monde consacrait hier trois lignes, à l'intérieur d'un entrefilet, à la lettre de Mme Marois et M. Duceppe - protestations qui ne changeront rien à la politique française, et rien non plus au Québec, où les électeurs n'aiment guère se faire dicter leur ligne de conduite par l'étranger.

Si jamais, toutefois, les Québécois décidaient d'entériner par un vote clair le projet indépendantiste, il serait surprenant que la France ne soit pas la première à ouvrir la voie à un nouveau pays francophone dont la majorité de la population est constituée de descendants directs de Français.

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