Exode de médecins québécois vers d'autres provinces, exode de médecins canadiens vers les États-Unis... Tels seront les effets pervers de l'accord visant à accroître la mobilité de la main-d'oeuvre entre le Québec et l'Ontario, de même que la réforme de l'assurance-maladie projetée par l'administration Obama.

Il est indéniable que dans l'ensemble, ces deux mesures auront des effets positifs. Les travailleurs québécois bénéficieront d'un plus vaste bassin d'emplois. Et la réforme d'Obama devrait mettre fin à l'horrible injustice qui prive une quarantaine de millions d'Américains d'une protection minimale contre la maladie.

 

Il y a un hic, toutefois, et c'est dans le domaine de la santé qu'il va se manifester. Le Québec risque de se voir drainé d'une partie de ses professionnels de la santé. La demande des sociétés riches pour des infirmières bien formées est insatiable, et encore plus forte pour les médecins spécialistes, qui constituent une denrée rare et précieuse, car il faut une douzaine d'années d'études universitaires pour les former. Avec l'entrée dans le système de millions de nouveaux patients, les États-Unis auront besoin d'un nombre toujours croissant de professionnels de la santé. Où croyez-vous qu'ils iront les chercher? Au Kazakhstan ou au Canada?

Déjà, nombre de médecins formés au Québec travaillent dans d'autres provinces. Leur nombre augmentera quand l'octroi des permis de pratique sera facilité par l'accord interprovincial, puisque la différence entre la rémunération des spécialistes du Québec et ceux de l'Ontario s'accroît constamment. Le différentiel est passé de 19,9% en 2004-2005 à 27,5% en 2006-2007. Dans l'ensemble du Canada, la rémunération moyenne est de 23,8% supérieure à celle du Québec.

Il n'y a pas que l'argent. Il y a les conditions de travail, la qualité de l'équipement technologique, le climat des établissements. J'ai rencontré l'autre jour un jeune médecin spécialisé dans un domaine où la demande est énorme. Il a fait ses études postdoctorales dans une ville du Canada anglais et est revenu chez lui, à Montréal, pour prendre un poste dans un grand hôpital francophone. Il songe à repartir, parce que le niveau professionnel, ici, est inférieur à ce qu'il a connu ailleurs. N'importe quel gros hôpital nord-américain l'accueillera à bras ouverts, ce diplômé de l'Université de Montréal...

Pour ne pas l'identifier, je m'abstiens délibérément de donner des détails, mais des cas comme celui-là, il y en aura de plus en plus au sein de nos hôpitaux vétustes et surchargés, et avec ce qui se passe au CHUM. Une Cité du Savoir et de la Santé bien gérée, à la fine pointe de la médecine et de la recherche biomédicale, sur le modèle de ce qu'envisageait l'ancien recteur de l'UdeM, aurait pu compenser pour les déficiences de la rémunération.

Le plus triste, c'est de voir la réaction jovialiste du ministre Bolduc, en réplique aux inquiétudes du président de la Fédération des médecins spécialistes, le Dr Gaétan Barrette. Tout en niant (on se demande bien sûr quelle base) le risque d'un exode, le ministre Bolduc dit que s'il y a des départs, on les remplacera par des médecins venus d'ailleurs... Ah oui, et d'où viendraient-ils?

Pourquoi les meilleurs médecins étrangers choisiraient-ils de venir là où la rémunération est inférieure, alors qu'ils peuvent immigrer aux États-Unis, à Toronto ou à Vancouver? Et comme le Québec exige de tous ses professionnels de la santé une bonne connaissance du français, ils viendront nécessairement de pays francophones... dont la plupart, hélas! n'ont pas une médecine d'aussi bon niveau qu'ici. Pourquoi diable laisser partir des Québécois dotés d'une excellente formation pour les remplacer par des immigrants moins bien formés? C'est ce qu'on appelle du masochisme!