L'événement est survenu le 14 avril dernier. Il est passé à peu près inaperçu, surtout au Québec, mais il pourrait avoir de sérieuses conséquences.

Le 14 avril, donc, pour la première fois depuis l'instauration de la péréquation, en 1957, l'Ontario a changé de statut. De province «riche», elle devenait membre du groupe des cousines «pauvres», celles qui reçoivent des paiements de péréquation.

 

Ce même jour, le gouvernement fédéral transférait un premier paiement de 14,4 millions au Trésor ontarien. À la fin de l'année financière, l'Ontario aura reçu 347 millions... alors que Terre-Neuve, pour la première fois, passe dans le camp des provinces riches grâce à ses ressources énergétiques. Pour la même raison, le Manitoba et la Saskatchewan font maintenant partie du club des riches... alors que l'industrie manufacturière sur laquelle reposait la prospérité de l'Ontario s'écroule sous les coups de la crise financière.

Ici et là, notamment dans le National Post, des voix s'élèvent pour remettre en question le régime même de la péréquation, régime duquel le Québec tire cette année 8 milliards - une somme énorme, à comparer aux 347 millions qu'Ottawa versera à l'Ontario.

Le raisonnement est le suivant, et il n'est pas absurde. La raison d'être de la péréquation, c'était de permettre aux provinces pauvres d'offrir à leurs citoyens des services comparables à ceux des provinces riches, dans des domaines comme la santé, l'éducation, la sécurité sociale, etc. Or, le Canada n'est plus ce qu'il était il y a 52 ans. On peut dire, aujourd'hui, que la qualité des services offerts par les provinces s'est égalisée dans tout le Canada. Les provinces pauvres se sont enrichies, pendant que les vaches à lait traditionnelles, l'Ontario et l'Alberta, souffrent de la crise.

Et le Québec? À cause de sa forte population, c'est la province qui reçoit le plus, bon an mal an, au titre de la péréquation (cette année, 60% du total des transferts, plus de deux fois plus que son poids démographique). Or, il se trouve que le Québec s'offre des services coûteux qui n'existent pas ailleurs, comme l'assurance médicaments, les garderies à 7$, une fonction publique pléthorique, etc. Et lorsque le gouvernement Charest a utilisé les premiers transferts visant à régler le «déséquilibre fiscal» (auquel le Québec était le seul à croire) pour baisser les impôts à la veille des élections de 2007, il a scié la branche sur laquelle il était assis. C'était faire la preuve que le Québec n'avait nul besoin de la péréquation pour des services essentiels. Et il ne s'est pas fait d'amis dans le reste du Canada en passant son temps à se plaindre et à quémander plus, encore plus, toujours plus.

L'Ontario, qui en tant que locomotive économique, considérait qu'il en allait de son devoir de subventionner les régions moins riches, commence à ruer sérieusement dans les brancards.

L'argent de la péréquation, ne l'oublions pas, ne provient pas d'une mystérieuse caisse dont la manne tomberait du ciel d'Ottawa. Il provient des contribuables canadiens, au premier chef des Ontariens... qui alimentent près de la moitié de la «caisse» de la péréquation, même si, cette année, ils en reçoivent une infime fraction. Or, l'économie ontarienne flageole, la province a un taux de chômage supérieur à celui du Québec, et des services moins «chromés» dans nombre de domaines.

La rébellion n'est pas loin. Le National Post, un journal conservateur, réclame carrément l'abolition du programme. Mais le questionnement se fait jour dans des milieux plus progressistes, comme au Globe and Mail, où le chroniqueur Jeffrey Simpson, entre autres, s'interroge lui aussi sur le sens de la péréquation, à une époque où l'Ontario traverse une crise sans précédent.