Il se joue actuellement, à Montréal, un petit jeu dangereux.

De toutes parts, des voix s'élèvent pour réclamer la démission du maire Tremblay (ou, comme l'a demandé La Presse en éditorial, pour qu'il annonce son retrait avant les élections). Le problème, c'est que les seules personnes intéressées à lui succéder sont de piètre qualité. On risque de changer pour pire. Peut-être pour bien pire.

Selon un sondage publié hier par La Presse, la confiance des citoyens envers M. Tremblay a sensiblement diminué depuis que les rumeurs de scandales s'amoncellent. Il ne faut pas exagérer, toutefois: si 34% lui font «beaucoup moins» confiance, pour 53% des répondants, la confiance est restée intacte ou n'a que «modérément diminué».

 

Il reste que s'il y avait des élections aujourd'hui, le maire ne devancerait Benoit Labonté que par cinq points. Mais pourquoi se défaire de M. Tremblay si c'est pour se retrouver avec un mini-maire d'arrondissement auquel personne n'accordait de crédibilité il y a un mois, et qui s'est davantage distingué par son ambition que par ses réalisations? La triste réalité, c'est que malgré son incurable naïveté et son indécision chronique, M. Tremblay dépasse ses adversaires de plusieurs têtes.

Moi aussi je trouve son bilan navrant. Mais n'est-il pas irresponsable de le pousser vers la sortie, quand aucun candidat valable ne s'annonce à l'horizon?

On le voit, d'ailleurs, à la liste erratique de personnalités que le sondeur a dressée pour aider les répondants à faire un choix. C'est n'importe quoi. On est allé pêcher Martin Cauchon (2% d'appuis), qui ne s'est jamais intéressé à la politique municipale et dont la seule ambition est de prendre la tête du parti libéral fédéral. Ou Jacques Duchesneau (6% de votes), qui a déjà donné et n'a certainement pas l'intention de se porter de nouveau candidat à la mairie. Ou Gilbert Rozon (2%), qui ne s'intéresse à la politique que dans la mesure où elle peut servir à l'industrie de l'humour. Ou un dénommé Robert Laramée, qui recueille 0% d'appuis. Le sondeur est même allé pêcher Denis Coderre, qui ne rêve que grimper les échelons au PLC! N'importe quoi, vous dis-je. Pourquoi pas, tant qu'à y être, Maman Dion ou Fred Pellerin?

Les trois seuls noms crédibles (et qui d'ailleurs recueillent le plus d'appuis) sont ceux de Liza Frulla, dont la candidature hypothétique court depuis des années, mais qui n'a jamais fait le plongeon, Pierre Marc Johnson et Louise Harel.

M. Johnson aurait certainement le profil de l'emploi, mais en voudrait-il, lui qui mène une vie rêvée depuis qu'il a quitté la politique? Bon an mal an, il hérite de mandats intéressants et lucratifs, et s'occupe actuellement de piloter un éventuel accord de libre-échange avec l'Europe... Quant à Louise Harel, on voit mal une souverainiste inconditionnelle, unilingue et réfractaire au caractère multiculturel de la métropole, prendre les rênes de Montréal, surtout après avoir heurté nombre de sensibilités locales dans le dossier des fusions.

Il y aurait certainement des gens capables de prendre la relève. On pense, par exemple, à Robert Lacroix, l'ancien recteur de l'Université de Montréal, un brillant économiste qui allie la vision, des capacités éprouvées de gestionnaire et la connaissance de la ville. Mais il n'a pas de base politique. Et rien ne dit qu'il serait intéressé à aller ramasser les pots cassés par les administrations précédentes - une perspective qui va rebuter la plupart des gens d'envergure auxquels on pourrait penser.

C'est l'oeuf et la poule: Montréal est devenue un nid à problèmes faute d'avoir attiré suffisamment de gens d'envergure... et Montréal ne les attire pas parce qu'elle est devenue un nid à problèmes.