Bilan des élections européennes: la montée généralisée de la droite, de même qu'une inquiétante percée de l'extrême droite, notamment aux Pays-Bas, en Hongrie et en Grande-Bretagne... et un taux d'abstention record, qui va de 60% en France à 80% en Slovaquie.

Cela confirme, si besoin était, que l'Europe, ce rêve magnifique devenu réalité (on va maintenant de l'Estonie au Portugal sans traverser une seule frontière!), ne fait pas encore partie de la vie quotidienne des citoyens. Sauf exception, les députés élus au parlement de Strasbourg proviennent souvent de l'équipe B - ceux qui seraient incapables de faire carrière en politique nationale, ou qui préfèrent l'agitation et les tractations stériles d'un parlement sans pouvoir réel à l'action directe au sein d'un gouvernement national. (Ce n'est pas sans raison que le parlement européen, qui tolère les corridas, s'est énamouré des bébés phoques, une cause futile s'il en est une, mais qui a le mérite de n'entraîner aucune retombée politique, puisque c'est surtout au Canada que ça se passe!).

 

Il est vrai aussi que la bureaucratisation extrême des superstructures bruxelloises, qui engendrent des tonnes de règlements superflus, est un repoussoir... et que depuis son extension à l'Est, l'Europe est devenue, moins qu'un ensemble cohérent, un assemblage hétérogène, sans personnalité autre que géographique. L'Europe de l'Ouest avait des institutions, des sensibilités et un niveau de développement relativement analogues, mais les pays récemment sortis de l'URSS feront encore longtemps figure de vagues cousins très éloignés. Rien d'étonnant à ce qu'à mesure qu'elle s'élargit, l'Europe soit de moins en moins capable de se donner une politique étrangère commune.

Mais à entendre le compte rendu de ces élections, dimanche dernier à la télévision française, on n'aurait jamais cru qu'elles concernaient l'Europe! Exception faite de Daniel Cohn-Bendit, les politiciens invités sur les plateaux, parfaitement indifférents au reste de l'Europe, n'avaient d'yeux que pour ce que signifiaient les résultats en regard de la politique française. Un peu comme si, lors d'une élection fédérale, on n'analysait les performances du Bloc et du PLC qu'en fonction de ce qu'elles annonçaient pour le PQ et le PLQ.

Cette campagne européenne a chambardé le paysage français. François Bayrou voit s'évanouir ses espoirs pour les présidentielles de 2012, et les socialistes sont en déroute, le groupe Europe Ecologie (Cohn-Bendit, l'ancienne juge Eva Joly et José Bové) se hissant en troisième place, presque à égalité avec le PS, pendant que l'UMP du président Sarkozy triomphe avec 28%.

Une étoile montante: Rachida Dati, qui a brillamment animé la liste UMP avec l'ancien ministre Michel Barnier, transformant en tremplin son exil du gouvernement - une brillante revanche sur l'humiliation subie aux mains du président qui l'a laissé tomber après l'avoir adoubée. Une étoile tombante: Martine Aubry, l'austère cheffe du PS qui devra probablement céder sa place à l'un des jeunes loups qui trépignent en coulisse... encore que Ségolène Royal, sa rivale vaincue qui rit aujourd'hui dans sa barbe, n'ait pas dit son dernier mot. Au PS, la bataille pour le pouvoir reprendra avec une férocité décuplée.

Finalement, le héros de la soirée aura été Daniel Cohn-Bendit, l'ancien contestataire de Mai 68, ce Franco-Allemand qui est le parfait prototype de l'Européen...Une bonne bouille, qui ne parle pas la langue de bois, et qui fut le seul à prendre ces élections au sérieux et à parler durant toute la campagne d'enjeux européens plutôt que nationaux. Il faut dire que sa formation avait été bien servie par la sortie planétaire, deux jours avant le vote, de Home, la superproduction sentimentale et alarmiste de Yann Arthus-Bertrand, qui a été vue par neuf millions de Français... Un fameux coup de pouce!