Jusque-là, le dîner se déroulait fort agréablement. Quand soudain, profitant d'une pause dans la conversation, quelqu'un lança une question perfide: «Et les élections municipales?»

Silence et désarroi. Gros soupir collectif. Les uns piquent du nez dans leur assiette, les autres lèvent les yeux au ciel.

 

«Alors, pour qui on va voter?»

«Moi, je n'irai pas voter», déclare le prof, pourtant homme de devoir. On sent à son ton que même les pubs rigolotes du DGE ne sauront le convaincre. Il s'absorbe dans la contemplation muette de sa pintade au vin rouge en attendant que la conversation change de sujet.

Le médecin votera pour Louise Harel - pas tant pour elle que contre Gérald Tremblay. La femme d'affaires votera pour Gérald Tremblay, pas tant pour lui que contre Louise Harel. L'architecte hésite, comme l'autre prof que le scandale des compteurs d'eau a jeté un moment dans les bras de Mme Harel mais qui maintenant se demande si M. Tremblay ne serait pas un moindre mal. Le consultant a un sourire en coin: «Malheureusement, je serai en voyage le 1er novembre...»

Personne n'a mentionné le nom de Richard Bergeron, le troisième larron que le fiasco des compteurs d'eau a fait grimper de six points dans le dernier sondage. Et pour cause, autour de la table, personne ne le connaît, et comme la scène se passe dimanche, personne n'a encore lu le portrait saisissant qu'allait en faire, dans La Presse du lendemain, notre collègue Michèle Ouimet. Dommage, car si on l'avait lu, la conversation aurait pris un tour beaucoup plus léger. On se serait bien amusé.

Ainsi donc, il ne manquait plus, à une situation désespérante, que ce nouveau fléau: un candidat si totalement invraisemblable qu'en comparaison, les deux meneurs de la course apparaissent comme des titans!

M. Bergeron n'a pas qu'une petite opinion de lui-même («Je m'en suis toujours tiré grâce à mon intelligence»). Il est particulièrement fier d'avoir écrit en 2005 que les attentats de septembre 2001 étaient une «farce» qui a procuré aux «mafias entourant George Bush un prétexte pour s'emparer des réserves pétrolières du Golfe...».

Un théoricien de la conspiration à l'hôtel de ville! Ce serait un divertissement inédit. Sa conversion à l'islam, dans les années 90, l'aurait-elle encouragé dans cette voie? Mystère. Ce que l'on sait cependant, c'est qu'il a «des théories sur tout». Voilà un homme que le doute n'effleure jamais... Inquiétant.

L'une des théories de ce fervent marathonien est véritablement d'avant-garde: il fume... «parce que c'est bon pour (sa) santé». Explication: fumer lui permet de diminuer sa capacité pulmonaire, autrement il risquerait de courir trop vite et de se blesser. La cigarette comme moyen de prévention des accidents, il fallait y penser.

M. Bergeron est un être entier. Viré musulman par amour pour une Marocaine, il voue à la bicyclette une passion quasi religieuse, doublée d'une solide haine de l'auto.

Le chef de Projet Montréal passe pour être un parangon d'intégrité (il s'est adjoint l'ex-juge Gomery, qui lave plus blanc que blanc). Mais curieusement, il semble ignorer le concept même de conflit d'intérêts. Il en appelle d'un jugement donnant raison à l'Agence métropolitaine de transport qui l'a congédié parce qu'il se prétendait capable de rester un analyste «neutre» embauché à plein temps... tout en en fustigeant publiquement les décisions de l'agence et en consacrant 80 heures par semaine à la politique municipale.

Même parmi ses collaborateurs de Projet Montréal, il s'en trouve au moins un pour dire qu'il ne lui mettrait pas un budget de 4 milliards entre les mains. Bien d'accord.