C'est Richard Bergeron qui tire profit, ces jours-ci, de la grande coulée de boue qui a submergé la course à la mairie. M. Bergeron a un grand mérite: comme il n'a jamais rien géré d'important et est un néophyte en politique, il est pur et blanc comme l'enfant qui vient de naître. Sa grande force est de n'être ni Gérald Tremblay ni Louise Harel.

L'une de mes connaissances a l'intention de voter pour lui. Pourquoi? «L'administration Tremblay est trop corrompue.» Mais alors, pourquoi pas Louise Harel? «Je ne veux pas voir une souverainiste de gauche à la mairie de Montréal!» Ah bon? Cet électeur ignore-t-il donc que M. Bergeron, sur n'importe quelle question, est plus extrémiste de Mme Harel?

 

C'est l'autre grand atout de Richard Bergeron: on ne le connaît pas.

Même s'il s'est entouré d'une petite partie de la gogauche anglophone, M. Bergeron est souverainiste. En soi, cela n'a rien d'un défaut (Pierre Bourque et Jean Doré l'étaient, sans que cela pose problème). Mais comme M. Bergeron est un émotif qui a tendance à aller aux extrêmes dans tous ses choix, on peut, avec lui, s'attendre à n'importe quoi. Mme Harel, qui a passé 40 ans dans un parti de gouvernement, est plus prévisible. Et elle est certainement moins «à gauche», en tout cas moins marginale, que M. Bergeron!

La nausée suscitée par les allégations de corruption qui touchent à la fois Vision Montréal et l'administration Tremblay peut être mauvaise conseillère. L'intégrité n'est pas la seule chose à considérer quand il s'agit de la gouvernance d'une grande ville. La compétence, le jugement, une certaine modération et l'aptitude aux compromis sont des qualités tout aussi nécessaires. Les politiciens professionnels, même un peu cyniques, sont moins dangereux que les illuminés. Gare à ceux qui, voulant faire l'ange, font la bête...

Exemple: le parti de M. Bergeron téléphone à chaque personne ayant souscrit plus de 250$ pour l'avertir solennellement qu'il n'y aura pas de retour d'ascenseur! Ici, on dépasse l'idéalisme pour tomber dans l'infantilisme.

Exemple: M. Bergeron veut réduire la circulation automobile. Très bien. Mais il nourrit, de son propre aveu, une haine viscérale, personnelle, envers les automobilistes. Cela n'est pas normal.

Exemple: M. Bergeron est un marathonien. Très bien. Mais là aussi il va à l'extrême: il fume pour diminuer sa capacité pulmonaire, car autrement il risquerait de se blesser en courant trop vite...

Exemple: M. Bergeron a été congédié par l'Agence métropolitaine de transport. Il en appelle d'une décision de la Commission des relations de travail. Ces griefs ont pris la dimension obsessionnelle d'une croisade. Inquiétant, ça aussi. Comme l'est le fait qu'il ne comprend pas la notion de conflit d'intérêts, lui qui voulait concilier le militantisme politique avec un poste d'analyste tenu à la neutralité.

Il rêve de belles choses pour Montréal (comment les financer, c'est moins clair!). Mais dans un poste aussi important que la mairie de Montréal, la personnalité compte encore plus que le programme. Or, que penser d'un homme qui s'entête à croire que les attentats du 11 septembre pourraient tenir à un diabolique complot des «mafias» entourant Bush? Il faut être un illuminé, ou manquer sérieusement de jugement, pour voir des conspirations partout.

M. Bergeron a un dernier atout: l'appui du juge Gomery. Cet appui n'est pas si étonnant, quand on pense à l'angélisme, doublé d'une méfiance quasi caractérielle envers les politiciens, qui imprégnait le rapport Gomery - un rapport qu'aucun gouvernement ne pourrait appliquer à la lettre sous peine de rendre le pays ingérable.