L'été dernier, dans un petit village du Languedoc, je me suis retrouvée dans le cabinet d'un médecin. Ça n'a pas été compliqué.

D'abord, j'avais le choix: il y a quatre ou cinq médecins qui pratiquent dans ce bourg de 2000 habitants. J'ai demandé au voisin lequel était le meilleur, et je n'ai même pas eu besoin de prendre rendez-vous. Je me suis pointée dans la salle d'attente vers midi (l'heure sacrée du déjeuner en famille), j'ai attendu une heure, et puis voilà, le charmant docteur était penché sur mon tendon d'Achille. Pas pour longtemps, cependant. Ce malheureux tendon l'intéressait beaucoup moins que le fait que je sois québécoise.

 

«Alors, cette entente France-Québec? Il paraît qu'on a besoin de médecins chez vous... Ça m'intéresse.»

Il avait déjà commencé à se renseigner, sachant que l'entente assurant la mobilité de la main-d'oeuvre médicale entre la France et le Québec allait être signée bientôt (elle le fut effectivement en novembre dernier et concerne aussi les pharmaciens, dentistes et sages-femmes, les infirmières étant quant à elles sur la voie d'un accord).

Il croyait savoir que les médecins sont mieux rémunérés chez nous. Il avait envie d'un changement de vie... «Mais le problème sera de convaincre ma femme», conclut-il piteusement.

Nul doute que des deux côtés de l'océan, les objections des conjoints seront un obstacle de taille à la mobilité.

Mais en principe, cette entente France-Québec n'a que des avantages.

Pour les Québécois, c'est évident. Le Québec manque tragiquement de médecins de famille. Quelle meilleure solution que d'«importer» des médecins francophones formés dans des universités comparables aux nôtres?

L'entente offre aussi aux médecins québécois la chance de vivre en France pendant quelques années - un inestimable avantage, culturel plutôt que monétaire, car les médecins généralistes sont en moyenne moins bien rémunérés en France, parce qu'ils sont plus nombreux et que la concurrence est plus vive (la plupart n'ont ni secrétaire ni réceptionniste).

Par contre, les expatriés québécois pourront librement choisir leur lieu de pratique, s'installer à Paris ou à Bordeaux, en Provence ou en Bretagne, s'ils ont assez d'énergie pour se bâtir patiemment une clientèle. (La France a une médecine libérale, contrairement à la nôtre qui est presque totalement encadrée par le secteur public).

L'entente est tout aussi avantageuse pour les Français qui rêvent d'un dépaysement et veulent échapper à une société trop codifiée, ou pour ceux qui sont attirés par la renommée de la médecine nord-américaine dont le Québec est tributaire.

On l'oublie, mais pour un Français unilingue (c'est le cas de beaucoup), la mobilité n'est pas évidente. Le Québec est l'un des rares endroits du monde développé où il n'aura pas à affronter la barrière linguistique.

Là où le bât blesse, côté français, c'est que l'installation sera plus ardue ici. Le médecin français devra se soumettre à un stage et à un examen avant de pouvoir obtenir un permis... restrictif. Selon le Collège des médecins, la différence tient au fait que le nouvel arrivé devra s'initier à un modèle médical public et centralisé, où même la facturation est plus compliquée qu'en France.

Le pire sera l'impossibilité, pour l'expatrié français, de choisir librement son lieu de pratique. Mais c'est une contrainte qui pèse tout autant sur les jeunes médecins québécois... ce qui explique d'ailleurs pourquoi ils sont si nombreux à quitter le Québec pour d'autres provinces, l'autre raison étant que la plupart des provinces rémunèrent mieux leurs médecins que le Québec.

Ce sont ces contraintes que l'on devrait alléger si l'on veut attirer ici des médecins français... et garder nos propres diplômés.