Et de deux. Après la mort tragique de Michelle Lang du Calgary Herald, un autre journaliste, britannique celui-là, vient de laisser sa vie en Afghanistan.

Tant les médias que les gouvernements devraient commencer à s'interroger sur l'envoi de reporters encadrés par les Forces armées («embedded») dans les zones dangereuses. S'interroger, oui, sur le fait que cette proximité entre soldats et reporters peut accroître les risques tant pour les premiers que pour les seconds.

 

Rupert Hamer, du Sunday Mirror, a été tué instantanément alors que le convoi militaire des marines américains dans lequel il voyageait a été la cible d'une bombe artisanale. Un marine est mort dans l'attentat, et le photographe du Mirror a été gravement blessé.

À la différence de Michelle Lang, néophyte en matière militaire (elle couvrait les questions de santé), Rupert Hamer était un reporter aguerri, qui avait «fait» l'Irak, le Proche-Orient et l'Asie centrale.

Après la mort de Michelle Lang, la plupart des commentateurs ont pieusement récité la même antienne: malgré les dangers, nous devons continuer à informer le public, et ainsi de suite. Or, ce n'est pas l'information comme telle qu'il faut remettre en question, mais la façon dont on l'obtient. Ce sur quoi il faudrait peut-être commencer à s'interroger, c'est sur cette habitude qu'ont les gouvernements et les médias d'envoyer des «volontaires» dans les bases militaires où ils seront appelés à voyager dans les blindés de l'armée et à participer avec les soldats à des opérations au sol.

L'idée de déléguer dans ces missions dangereuses des néophytes comme Michelle Lang était déjà bien légère. La mort de Rupert Hamer montre que même des professionnels du reportage militaire ne peuvent échapper au mauvais sort.

Notre collègue Michèle Ouimet, qui est allée plusieurs fois en Afghanistan, écrivait récemment qu'elle n'avait jamais voulu être «embedded» parce que cela lui faisait «trop peur». Elle préférait couvrir les choses isolément, cachée sous sa burka, avec la seule compagnie d'un guide-interprète. C'est un choix qui comporte aussi d'énormes risques, notamment celui d'être pris en otage. Mais c'est un choix qui ne met personne d'autre en danger.

Michèle Ouimet racontait qu'elle n'a jamais été aussi terrorisée que le jour où elle s'est retrouvée assise dans un blindé de l'armée. Et pour cause! La tactique principale des guérilleros talibans est d'installer des explosifs sur les routes où passent les convois militaires. Voyager avec l'armée, c'est s'exposer au plus grand risque - car ce sont de telles explosions qui ont causé la mort de presque tous les soldats canadiens tués en Afghanistan.

Il y a autre chose. Se pourrait-il que la seule présence de reporters ait pour effet d'accroître les risques pour les soldats? Les talibans ne sont pas stupides, ils savent que la mort d'un journaliste aura beaucoup plus d'impact en Occident que celle d'un militaire.

Bien sûr, ils ignorent si le prochain convoi transportera des journalistes. Mais ils ont des informateurs dans les villages où débarquent, pour diverses missions, les militaires flanqués de reporters - tous facilement reconnaissables sous leur treillis d'emprunt, ne serait-ce que parce qu'ils portent des enregistreuses et des caméras plutôt que des armes. La route du retour pourrait alors constituer une cible.

Les talibans peuvent être incités à multiplier les guets-apens pour peu qu'ils apprennent qu'un groupe de journalistes vient de s'installer dans une base militaire. Après tout, contrairement aux forces de l'OTAN, les talibans sont chez eux, et ils ont les moyens de s'informer, soit en terrorisant la population locale, soit en jouant sur la solidarité ethnique.

N'y a-t-il pas là matière à réflexion?

lgagnon@lapresse.ca