Le personnage n'est pas banal. Georges Frêche, le tout-puissant président de la région du Languedoc-Roussillon, est ce qu'on pourrait appeler un homme de gauche avec des réflexes de «beauf». Fin lettré, ancien professeur de grec classique, il peut aussi se lancer dans d'invraisemblables vociférations.

Entouré d'un halo de controverse, il sera l'un des acteurs principaux des élections régionales qui se dérouleront en France les 14 et 21 mars. On peut déjà prévoir les résultats paradoxaux qu'affichera sa région au terme du second tour : le Parti socialiste perdra le Languedoc-Roussillon... mais l'UMP de Sarkozy ne le gagnera pas non plus. Ce grand territoire, qui recouvre une partie du sud de la France jusqu'à la frontière espagnole, restera à la gauche, mais hors PS – la gauche de Frêche, le vieux lion de Montpellier.

L'affaire a commencé avec une autre de ces sorties dont Frêche est coutumier. Il y a quelques mois, il s'écrie à propos du socialiste Laurent Fabius qu'il a «une tronche pas catholique». L'allusion passe totalement inaperçue, jusqu'à ce que L'Express la repêche en précisant que M. Fabius vient d'une famille juive.

Émoi au PS. Quelques ténors du parti prennent sa défense, faisant valoir que loin d'être un antisémite, l'ancien maire de Montpellier est au contraire un judéophile et un indéfectible supporteur d'Israël. L'acteur Gérard Depardieu, qui cultive un vignoble près de Montpellier, signale que Frêche n'a fait qu'utiliser une vieille expression courante du terroir (une expression qui a eu cours au Québec également, à cette différence près qu'ici l'on dirait «face» plutôt que «tronche»).

Mais la rectitude politique règne aujourd'hui en France presque autant qu'au Canada, et le PS retire son appui au franc-tireur déjà expulsé du parti. Sur quoi tous les édiles socialistes de la région tournent le dos au parti pour suivre leur homme... Ces défections empêcheront probablement le PS de réaliser le rêve qu'il se croyait sur le point d'atteindre, soit de l'emporter dans tout l'Hexagone (l'Alsace et la Corse, seules régions appartenant à l'UMP, pourraient bien tomber cette fois dans l'escarcelle du PS).

Au Languedoc, où un certain nationalisme occitan reste vivace, l'expulsion de Frêche et de ses fidèles du PS a été vue comme une autre manifestation de l'impérialisme parisien. Le Midi Libre a même évoqué les persécutions des Cathares par les armées du «nord» au XIIIe siècle!

Fantasque, populiste et brillant, Frêche est adulé dans le Languedoc, et pour cause. Il a fait de Montpellier l'une des villes les plus dynamiques de France, et s'est dépensé sans compter pour la région. Par contre, il a des côtés assez délirants. Ainsi, il a tenté de changer d'autorité le nom de la région pour Septimanie, en référence à l'empire romain... Il veut parsemer Montpellier de statues de «grands hommes», dont les figures sanguinaires de Mao et Lénine. Dernièrement, il menaçait ainsi un adversaire politique: «Je vais te couper les couilles!»

En 2006, il a causé tout un scandale quand il a traité les Harkis (ces Algériens qui se sont battus aux côtés des Français) de «sous-hommes». En vérité, il avait été mal cité. L'insulte (au demeurant impardonnable) visait l'Association des Harkis de France qui venait de s'allier à l'UMP bien que les Harkis eussent été trahis par la droite de l'époque.

Autre dérapage, il a critiqué la prédominance des «blacks» dans l'équipe nationale de foot. Il s'est défendu en disant que cela prouvait qu'il n'y a pas assez de bons joueurs blancs, mais la remarque, évidemment, a mal passé...