Elle s'appelle Misty et elle a 19 ans. Misty n'est pas son nom «d'artiste». C'est son vrai nom. Elle vient de Vaudreuil, étudie à Concordia et a eu la très mauvaise idée de devenir candidate à Occupation double cet automne.

Occupation double, pour les lecteurs qui ne s'intéressent qu'aux documentaires animaliers, est une téléréalité. C'est-à-dire une émission qui donne l'illusion de situations réelles, en magnifiant le cul, la cupidité et la stupidité de concurrents avides de célébrité.

 

Un documentaire animalier d'un autre type, avec des bêtes recrutées dans les salons de bronzage de la province, maintenues en captivité jusqu'à ce qu'un mâle dominant choisisse une femelle (ou vice-versa) pour décorer sa maison préfabriquée en banlieue de Terrebonne.

Occupation double est très populaire. Près de 2 millions de téléspectateurs chaque soir de diffusion. C'est aussi une téléréalité qui tente de se donner un lustre de respectabilité et un vernis «glamour» en investissant davantage dans sa production que sa concurrente Loft Story.

Dans les faits, Occupation double est le restaurant tape-à-l'oeil du boulevard Saint-Laurent, tout aussi dégueulasse mais 20 fois plus cher que le shack à patates de la route 327 qu'est Loft Story. Au moins Loft Story n'essaie pas de nous faire croire qu'on lui a accordé une étoile Michelin.

J'en reviens à Misty. Il y a deux semaines, à heure de grande écoute, Occupation double a diffusé des images sans équivoque de cette jeune femme de 19 ans, au lit avec un certain Mathieu, de Longueuil.

«Je veux pas que tu penses que je suis une fille facile», lui murmure Misty. «J'ai jamais autant eu envie de faire l'amour», lui répond Mathieu, que l'on a pu voir dans le lit d'une autre candidate, 33 minutes plus tôt dans la même émission.

Les ébats de Misty et de Mathieu ont été filmés sans qu'ils ne le sachent, dans un chalet, par une caméra cachée. À leur insu. Un diffuseur avec le moindre souci de préserver l'intégrité de ses jeunes «vedettes», avec la moindre parcelle de bon goût, aurait choisi de ne pas diffuser ces images. Par circonspection et par respect.

Pas TVA. Le diffuseur d'Occupation double a préféré racoler quelque 2 millions de personnes avec une blonde de 19 ans en bobettes, qui succombe aux avances insistantes d'un plombier de 24 ans. «T'es sûr qu'y a pas de caméra? Je t'aime.»

Ce qui me dérange, ce n'est pas que ladite scène ait été diffusée à 20 h 34 et que le Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs précise qu'on ne devrait pas voir de sexe au petit écran avant 21h.

Ce qui me dérange, ce n'est pas non plus qu'Occupation double soit au deuxième rang des émissions les plus populaires chez les 2-11 ans ni qu'elle soit deux fois plus regardée que toutes les émissions jeunesse les plus populaires dans cette tranche d'âge.

Ce n'est pas enfin que les forums de discussion du web aient fait leurs choux gras de cette affaire en traitant la jeune Misty de «pute», «d'agace», de «connasse», et de tout ce que vous pouvez imaginer de pire encore venant de blogueurs sans discernement.

Ce qui me dérange, c'est le sensationnalisme et le racolage de bas étage.

TVA a diffusé les images d'une fille à peine majeure qui baise devant la caméra. Des images, certes plus suggestives qu'explicites (elles ont évidemment été censurées), mais bien RÉELLES. Des images susceptibles d'émoustiller le mononcle autant que d'intriguer sa nièce de 5 ans, et de nourrir les potins d'ados sur le dos d'une fille de 19 ans qui «aurait dû savoir».

La défense est toute prête, consignée dans un document qui exempte le diffuseur de toute responsabilité. Elle «aurait dû savoir» qu'elle était filmée. C'est dans son contrat. «Ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés, concède la porte-parole de TVA, Nicole Tardif. Mais on ne peut dire qu'ils ont été filmés à leur insu. Ils savent qu'ils sont filmés en tout temps, même s'ils l'oublient souvent lorsqu'ils sont en voyage.»

Je soumets au diffuseur que dans ce cas précis, Misty, 19 ans, ne le savait pas (À l'insu de: «sans en avoir conscience»; Petit Robert). Et que cette scène, à cause de l'internet, risque de lui coller à la peau bien longtemps.

Qu'on me comprenne bien. Je n'ai rien contre la représentation du sexe à la télévision entre adultes consentants. Le problème ici en est surtout un, justement, de consentement. Misty a peut-être consenti il y a plusieurs semaines à être filmée pendant son séjour à Occupation double. Mais ce consentement ne peut être assimilé à un consentement libre et éclairé de voir ses ébats sexuels épiés par près de 2 millions de personnes alors qu'elle croit de bonne foi être à l'abri des caméras.

Misty et Mathieu ont fait l'amour parce qu'ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés. TVA l'admet, mais a tout de même choisi de violer leur intimité en diffusant ces images. Parce que ça attire plus de téléspectateurs. Parce que la téléréalité peut servir, semble-t-il, d'exutoire à tous les voyeurismes.

Si s'en formaliser, c'est se montrer puritain, alors je plaide coupable. Peut-être que Misty elle-même ne s'en formalisera pas. Pour participer à une téléréalité, il faut déjà en quelque sorte renoncer à sa dignité.

Il reste que je me demande à qui a profité la télédiffusion de cette scène. À Misty, qui se fait traiter de putain dans tous les recoins du web? Ou à TVA, qui offre aux abonnés d'Illico, à tout moment, un accès exclusif aux «moments mêmes les plus intimes» des concurrents d'Occupation double?

Attendez que j'y pense un peu...