Patrick Watson chantait The Great Escape, voix de cuivre éthérée, baigné dans une lumière mordorée. Ses doigts flottaient sur le piano comme un radeau à la dérive. La lune brillait, pleine. Soir d'été indolent, petite brise dans le cou. Cinquante mille personnes, peut-être davantage, murmurant Toudoudouta-tadadou, toudoudouta-tadadadaaada. Mer ondulante de tranquillité, bonheur émouvant de la communion.

Elles étaient quatre devant moi. Pâmées. Ricaneuses. À se lancer des regards complices. Prêtes à l'épouser. Il est déjà marié? Tant pis. Il est papa? On l'aime encore plus. C'était une soirée pour se pâmer. Nuit magique, comme chanterait Catherine Lara. Temps idéal, musique idéale, place idéale. Place idéale?

Depuis le spectacle d'ouverture du 30e Festival international de jazz, Stevie Wonder à la barre, on n'a pas été tendre avec la nouvelle Place des festivals. Trop exiguë pour un show de cette envergure, difficile d'accès, mal disposée, mal desservie, mal... aimée.

La place, inaugurée inachevée, a laissé une mauvaise première impression. À ceux qui s'y sont entassés comme des sardines des heures avant le spectacle, sans pouvoir circuler, sans accès aux toilettes ni aux comptoirs de restauration. À ceux, postés «sur l'asphalte», condamnés à céder six pouces de visibilité à leurs voisins privilégiés du «haut du pavé». À tous ceux, enfin, qui ont été refoulés à des centaines de mètres de la scène. Coincé à l'angle de Sherbrooke et de Saint-Urbain, un spectacle dans la rue Jeanne-Mance, entre Sainte-Catherine et de Maisonneuve, semble forcément moins intéressant.

C'est fort, une première impression. La Place des festivals, qui a un charme indéniable, avait du rattrapage à faire. Soixante mille personnes ont sans doute été ravies par le spectacle de Stevie Wonder (la capacité de la Place est de 40 000 à 50 000 personnes, de la scène à l'angle de Jeanne-Mance et de Président-Kennedy). Trois fois plus de gens en gardent un souvenir plus mitigé.

Prise deux, donc, dimanche soir (à ne pas confondre avec deuxième prise). Deuxième impression en forme de réconciliation, grâce à Patrick Watson, d'une bonne humeur contagieuse, et son utilisation ingénieuse de l'espace. Projection d'un vieux film monochrome sur les différents édifices entourant la place, jeux d'ombres sur les bâtiments et le rideau de scène, éclairages élégants, cycliste haut perché façon Cirque du Soleil, feux de Bengale sur le toit du Musée d'art contemporain...

Le rêve d'une place accueillante, au design épuré, porte ouverte sur le Quartier des spectacles, a pris forme. Avec ses beaux grands lampadaires futuristes, ses écrans géants dernier cri, les bâtiments voisins déguisés pour l'occasion, le musée illuminé de blanc, la Place des festivals avait fière allure. On en oubliait la rue asphaltée à la hâte, les cubes-terrasses toujours en chantier et autres échafaudages à gauche et à droite.

La Place, dimanche, avait de la gueule. La splendeur et l'ambition de ce Festival de jazz qui fait la fierté des Montréalais. On pouvait circuler facilement, on ne se sentait pas à l'étroit, on voyait bien, même d'une certaine distance. L'air était bon, l'ambiance détendue. Les gens étaient heureux, la ville était belle, la musique magnifique. Magique.

Autre festival, autre dispositif

La scène GM du Festival de jazz, rebaptisée scène Ford aux FrancoFolies, sera disposée autrement pour la grande fête de la musique francophone dans quelques semaines.

Prenant acte des différentes critiques adressées par le public et les médias aux organisateurs dans la foulée du concert de Stevie Wonder, les gens de l'Équipe Spectra ont décidé d'aménager la grande scène à l'angle de Jeanne-Mance et de Président-Kennedy, plutôt que directement sur la Place des festivals. La scène fera face au public au sud plutôt qu'au nord. Elle sera fréquemment utilisée dans le cadre des prochaines FrancoFolies (du 30 juillet au 9 août), qui attirent bon an mal an environ un million de visiteurs, contre 2,5 millions au Festival de jazz.

«On veut tester différentes possibilités. Il y a quatre façons de disposer la scène dans la nouvelle Place des festivals. On veut trouver celle qui convient le mieux, pour le son, pour la répercussion sur les immeubles, etc.», m'a expliqué hier Marie-Ève Boisvert, porte-parole de l'Équipe Spectra. Pour savoir ce qu'il y a de mieux, il n'y a rien comme l'essayer.

 

Photo: Robert Skinner, La Presse

Dimanche soir, à l'occasion du spectacle de Patrick Watson, la Place des festivals avait de la gueule.