C'est comme les petits tannants dans le fond de la classe qui se choisissent un souffre-douleur. Le petit gros ou l'Anglo en immersion. Ils l'insultent, se moquent de lui, ne le lâchent pas d'une semelle jusqu'à ce que l'Anglo, excédé, crie au dernier, pourtant pas le plus tannant: «Go fuck yourself

Le «dernier» alerte aussitôt la maîtresse. «Madame! C'est pas gentil!» L'Anglo se prend une retenue. Les petits tannants en profitent pour le traîner dans la boue à la récréation. L'Anglo, qui devait quitter l'école à la fin de l'année, décide de rendre tous les élèves responsables de son départ. «Je pars parce que ce sont tous des racistes.»C'est l'histoire du Théâtre Sainte-Catherine. L'histoire de son directeur, Eric Amber, qui en a eu assez de se faire reprocher d'envoyer sa programmation par courriel en anglais, dans le cadre du festival Juste pour rire. On l'a affublé de noms pas gentils; il l'a fait payer au «dernier» (Jacob Brindamour de la troupe de théâtre Les Sages fous) qui, pourtant pas le plus insolent, lui a demandé: «Merci de nous envoyer vos messages en français ou de nous retirer de votre liste d'envoi.»

Réponse (en anglais) d'Eric Amber: le message est en anglais parce que les spectacles sont en anglais. Vous ne savez évidemment pas lire l'anglais parce que vous être borné et sans éducation. Go fuck yourself!

Ça aurait dû en rester là. Une petite provocation, un gars qui s'énerve, une histoire de linge sale. Les Sages fous, pas fous, en ont décidé autrement. La troupe de théâtre, insultée, s'est vengée dans les médias, qui n'en demandaient pas tant. Dimanche, une trentaine de personnes ne trouvant rien de mieux à faire ont manifesté «leur patriotisme» devant le Théâtre Sainte-Catherine. Et un courriel d'insultes envoyé par un inconnu à une troupe méconnue est devenu une affaire nationale, dans ce pays «monstrueusement en paix» (merci, Wajdi).

Aujourd'hui, les Jeunes Patriotes et autres zélotes en manque d'Autre Saint-Jean sont bien contents d'avoir une proie aussi facile qu'Eric Amber à lyncher sur la place publique. Leur plus belle manipulation, leur plus subtile hypocrisie, étant de faire croire que la réponse ulcérée du jeune directeur du Théâtre Sainte-Catherine n'a été provoquée d'aucune manière. On ne sait pas ce qui lui a pris...

Il y avait dans le temps un joueur des Bruins et des Flyers, Ken Linseman, que l'on appelait le rat. Il faisait rager ses adversaires, par de petits coups vicieux, jusqu'à ce qu'il y en ait un qui lui sacre un coup de poing au visage. Évidemment, l'arbitre punissait la réplique bien plus souvent que la provocation.

M'est avis que Les Sages fous sont moins sages qu'on le pense. Et qu'il y a dans leur courriel «innocent» une pointe de Ken Linseman, un soupçon de Marco Materazzi. Ils l'ont un peu cherché, ce coup de boule.

Un théâtre anglo fait par courriel de la promo en anglais pour des spectacles en anglais destinés à un public anglo. Il en a parfaitement le droit, même si, stratégiquement, il se coupe d'un public potentiel. Irritée par la manière, une troupe de Trois-Rivières lui réclame une promo en français. C'est, plus qu'une revendication, un reproche. C'est aussi, qu'il soit volontaire ou pas, un piège à con. Le con pris, on claironne sa capture: «Regardez ce que cet Anglais malpoli m'a répondu!»

La promptitude avec laquelle Les Sages fous se sont faits les délateurs du go fuck yourself d'Eric Amber en dit autant sur eux que sur lui. «Il a dit go fuck yourself, madame!»

J'ai l'air de défendre Eric Amber? Il est pourtant difficile à défendre. Si j'avais un conseil à lui donner, ce serait de laisser tomber le courriel. Pour toujours. Pas à cause du go fuck yourself. Le go fuck yourself est un beau prétexte pour ses détracteurs. Il fait image, en raison de sa vulgarité, de sa virulence, de sa langue surtout. «Va te faire foutre!» n'aurait pas eu la même résonance. Ce n'est pas le prétexte, c'est la suite. Depuis, Eric Amber s'est enlisé. Il a joué à fond son rôle de pauvre victime, grosses cordes à l'appui, par courriel toujours.

Entre autres bêtises, il a laissé entendre que cet incident démontrait comment les «non-francophones» sont quotidiennement maltraités, insultés et méprisés par la majorité québécoise. Il a aussi déclaré que les réactions provoquées par son courriel fielleux l'avaient décidé à fermer son théâtre. En réalité, Eric Amber a décidé depuis un moment de fermer le Théâtre Sainte-Catherine en décembre prochain. Il ne répond plus au téléphone, mais j'ai une question pour lui: What the fuck?

 

Photo: Robert Skinner, La Presse

Dimanche, des manifestants se sont rendus devant le Théâtre Sainte-Catherine pour dénoncer le propriétaire Eric Amber, qui fait, par courriel, de la promotion en anglais pour des spectacles en anglais destinés à un public anglophone.