Falcon Heene, 6 ans, aurait pu être à bord de la montgolfière expérimentale que toutes les télés nous ont montrée jeudi dernier. Il aurait pu se trouver dans la nacelle de cette soucoupe volante de fabrication artisanale, traquée par les caméras des chaînes d'information comme jadis le Bronco blanc d'un acteur comique du film Airplane.

Il aurait pu. S'il y a des gens assez stupides pour se servir de leurs enfants afin d'être vus à la télé, il y en a sûrement d'autres assez pic-pic pour envoyer un garçon de 6 ans en voyage avec Nic et Pic dans le seul espoir d'obtenir un contrat de téléréalité.

Rappel des faits d'une histoire gonflée à l'hélium. Jeudi, un couple du Colorado alerte la télévision locale et les autorités: une montgolfière expérimentale, rangée dans leur cour arrière, s'est envolée accidentellement. Leur plus jeune fils, au dire de son frère aîné, est parti avec le ballon.

Les équipes de secours s'activent, comme le branle-bas de combat médiatique. CNN suit la trajectoire de la montgolfière à la minute près. Al Jazeera rend compte de son périple sur son site internet. RDI et LCN ne sont pas en reste. Le public suit la prétendue odyssée de Falcon comme le voyage de Bozo Lightyear dans l'espace.

La montgolfière se pose enfin, sans l'enfant. On craint le pire. Plusieurs heures plus tard, après avoir fouillé la maison de fond en comble, la police trouve le jeune Falcon dans le grenier au-dessus du garage. Pourquoi n'as-tu pas réagi lorsqu'on t'a appelé? lui demande-t-on en direct à l'antenne de Larry King. «C'était pour le spectacle» répond-il, candide, devant son père éberlué. La vérité sort de la bouche des enfants. L'histoire de «Balloon Boy» se dégonfle, comme du reste son ballon.

L'aéroport de Denver a été fermé, les forces policières ont été mobilisées, des millions de personnes ont retenu leur souffle... pour un «spectacle» vraisemblablement créé de toutes pièces par les parents de Falcon, des acteurs en quête de célébrité depuis leur participation à la téléréalité Wife Swap. Le couple était en pourparlers ces derniers mois avec un producteur afin d'obtenir sa propre téléréalité, et a même loué, il y a quelques années, une maison à Burbank, en Californie, dans l'espoir d'être repéré par les dirigeants des studios de télévision.

«Le but final (des parents) était de se rendre célèbres et peut-être d'avancer dans leur carrière en signant un contrat pour une émission de téléréalité», a confirmé dimanche le shérif chargé de l'affaire.

Le couple Heene risque désormais la prison et plusieurs centaines de milliers de dollars d'amende.

L'affaire du «Balloon Boy» met une fois de plus en évidence les limites de l'information continue: nouvelles diffusées à la hâte, sans plus de vérification, dans le but de ne pas rater le coche médiatique. Personne n'est à l'abri d'un canular. Reste que des caméras de télévision sont restées braquées pendant plus d'une heure jeudi sur une montgolfière volant péniblement à des centaines de mètres au-dessus du Colorado, sans aucune raison valable.

Est-ce que Richard Heene, un hurluberlu qui se fait entre autres passer pour «chasseur d'ovnis», a imaginé ce canular afin de ridiculiser les médias de masse? Il est plus probable qu'il ait simplement eu l'intention de profiter d'un coup de publicité pour relancer ses projets de téléréalité. On aura beau frotter, aucun génie ne sortira jamais de cette balloune-là. Ironiquement, Richard Heene ne sera jamais la vedette d'une téléréalité plus médiatisée que celle découlant du faux voyage de son fils (et de ses éventuels démêlés avec la justice).

Davantage que les dérives médiatiques, c'est ce qui me trouble le plus dans cette histoire. Ce désir irrépressible de célébrité, qui fait faire à certains les plus invraisemblables bêtises. Hypothéquer l'avenir de ses enfants, de sa famille, pour passer à la télévision... Jusqu'où ira-t-on? Les parents de Falcon, plus j'y pense, auraient pu le mettre dans ce ballon.

Le lait de la douleur

Dans la foulé de sa présentation au Festival du nouveau cinéma, Fausta: la teta asustada, deuxième long métrage de Claudia Llosa, une cinéaste de seulement 32 ans, a pris l'affiche hier au cinéma Parallèle. Ours d'or du dernier Festival de Berlin, candidat du Pérou à l'Oscar du meilleur film étranger, prix d'interprétation à Magaly Solier au Festival du nouveau cinéma, le film arrive en salle (il sera au Beaubien à compter de vendredi) précédé d'une réputation enviable. Il ne déçoit pas.

Ce film d'auteur sombre mais bercé d'espoir raconte l'histoire de Fausta, belle jeune femme sauvage et énigmatique, atteinte du syndrome de la «teta asustada», transmis selon la croyance populaire par «le lait de la douleur» maternel. Sa mère, violée après le meurtre de son père par les terroristes du Sentier lumineux au début des années 80, vient de mourir à Lima. Fausta, désemparée, désorientée, craintive, cherche à financer son enterrement en province. Une fable touchante sur l'émancipation, portée par une musique magnifique.