Elle a de longs cheveux roux. Elle a 37 ans. Elle est née à Longueuil de parents chrétiens originaires des Balkans. Elle est cinéaste. Elle est musulmane. Elle a porté, pendant 13 ans, le voile islamique. Elle ne le porte plus.

Natasha Ivisic ne se doutait pas qu'elle abandonnerait bientôt le hijab, en 2007, lorsqu'elle a témoigné devant la commission Bouchard-Taylor de la montée de l'intolérance envers la communauté musulmane québécoise depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Son témoignage sert de point d'ancrage à Je porte le voile, un film qu'elle a réalisé avec Yannick Létourneau et qui sera présenté le 16 novembre dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, avant une diffusion ultérieure à l'antenne de Radio-Canada.

L'idée de ce documentaire a germé dans l'esprit de Natasha Ivisic lorsque sa fille Amina a eu 13 ans, l'âge traditionnel dans l'islam pour envisager le port du voile. Son film se voulait avant tout une réponse à certains préjugés véhiculés sur le hijab. Mais son propre point de vue sur le voile a évolué au cours du tournage, si bien que le documentaire conçu «pour sa fille» est devenu beaucoup plus introspectif. «Ce n'est pas du tout ce que j'avais prévu, mais le film a été pour moi une thérapie», dit l'ancienne étudiante en cinéma de l'Université Concordia.

Natasha Ivisic s'est convertie à l'islam il y a 16 ans, en épousant un Algérien musulman. Ce n'est qu'à la naissance de sa fille, trois ans plus tard, qu'elle a décidé de porter le voile. «Je voulais être la meilleure musulmane possible, dit-elle. Je me cherchais une identité. J'avais l'impression d'avoir quelque chose à prouver. Il y a une période, lorsqu'on se convertit, où l'on est très zélé. Mais on finit par se poser des questions. J'ai fait beaucoup de recherches et j'ai fini par constater que je portais le voile par conformisme.»

Je porte le voile s'intéresse à plusieurs points de vue de musulmanes québécoises sur le voile. Ceux des converties, souvent plus orthodoxes, comme ceux des plus progressistes. Natasha Ivisic y rencontre, souvent en groupe, des musulmanes de tous les horizons et de toutes les origines, jeunes et moins jeunes, portant le voile ou pas.

«J'ai toujours cru que toutes les femmes musulmanes portaient le voile, dit-elle. C'est bête à dire, mais je me suis rendu compte seulement pendant la commission Bouchard-Taylor que pas plus de 10 à 12 % des femmes musulmanes le portent, au Québec.»

C'est vers la fin du tournage de son documentaire, placée devant ses propres doutes et des interprétations variées du Coran sur le voile - ainsi que devant ses parents, visiblement en désaccord avec sa conversion -, que Natasha Ivisic a choisi de ne plus porter le voile. Une décision qui a ébranlé son entourage. Sa fille, en perte de repères, ses deux fils, mais surtout son mari.

«Il n'était pas d'accord. Il était plus ou moins pratiquant lorsque nous nous sommes rencontrés, mais il s'est fait une fierté de mon zèle religieux. Il m'a encouragée dans mon projet de film parce que je voulais montrer une image positive du voile en brisant certains tabous. Il ne s'attendait pas du tout à ce que j'abandonne le voile. Pour certains musulmans, enlever le voile est un blasphème. C'est perçu comme une faiblesse de la foi.» Le couple s'est depuis séparé.

Je porte le voile, plus intéressant pour son sujet que pour ses qualités cinématographiques, ne saurait être assimilé à un pamphlet anti-voile. Le film pose plutôt un regard nuancé sur le port du hijab, présenté comme un choix davantage que comme une obligation religieuse.

«Porter le voile, ou décider de ne plus le porter, ne devrait pas être une chose dictée par quiconque comme un dogme, croit le coréalisateur Yannick Létourneau. Ce devrait être un choix personnel, pas celui de groupes féministes ou d'imams radicaux. Le voile est beaucoup récupéré pour des motifs politiques.»

On ne peut d'ailleurs s'empêcher de craindre la récupération de ce documentaire, qui par les islamistes radicaux, qui par les monomaniaques du hijab, obsédés par un prétendu «péril voilé» et militant avec force démagogie en faveur de la disparition du voile de l'espace public. Cachez ce foulard que je ne saurais voir...

«Le voile reste un sujet tabou, constate Natasha Ivisic. Il y a des extrémistes chez les féministes comme chez les musulmans.» En effet. Ce n'est pas rassurant.

Entre Montréal et Port-au-Prince

«Cela fait trois décennies que je fais le gras à Montréal pendant qu'on continue à faire maigre à Port-au-Prince. Mon métabolisme a changé. Et je ne sais plus ce qui se passe dans la tête d'un adolescent d'aujourd'hui qui ne se souvient pas d'avoir mangé un seul jour à sa faim.»

La dernière fois que j'ai vu Dany Laferrière, il revenait de Port-au-Prince. C'était dans un lancement, l'été dernier. Petites bouchées, bon vin. Le regard oblique du spectateur, l'air détendu, aminci, de son élégance indolente typique.

«Il n'y a pas d'explication au charme», écrit-il à propos de son père dans L'énigme du retour, prix Médicis.

Roman de fulgurance, dans sa forme surtout, entre la chronique et la poésie. Roman de contradictions aussi, entre père mort et fils vivant («Un astre trop aveuglant pour qu'on puisse le regarder de face. C'est cela, un père mort»), entre givre de Montréal et étuve de Port-au-Prince («La mort serait de n'être plus dans aucune de ces deux villes»).

Il revenait de Port-au-Prince, où la rue a faim, où cette urgence se devine dans la densité, le rythme du pas. Montréal marche, repue, insouciante, dans les neiges du mont Royal. «Ce n'est plus l'hiver. Ce n'est plus l'été. Ce n'est plus le Nord. Ce n'est plus le Sud. La vie sphérique, enfin.»

 

Photo: RIDM

L'idée du documentaire Je porte le voile a germé dans l'esprit de Natasha Ivisic lorsque sa fille Amina a eu 13 ans, l'âge traditionnel dans l'islam pour envisager le port du voile.