C'est vrai que le texte est vaseux. Que la prose est empâtée et les rimes forcées. Que l'ensemble est verbeux et assommant. Plusieurs l'ont dit. Trop de poésie tue la poésie. Le cliché est de circonstance.

Paradis perdu, «l'odyssée spectaculaire et musicale» que Dominic Champagne, Jean Lemire et Daniel Bélanger présentent à la Place des Arts, est un chapelet de lieux communs qui s'égrène dans l'ennui.

Une oeuvre ambitieuse qui souffre d'un flagrant déficit de silences. Joyeux paradoxe: tous les personnages sont muets, sauf celui de Pierre Lebeau, narrateur lyrique qui n'en finit plus de déclamer.

«Que sont mes amis devenus?» demande Lebeau d'un timbre monocorde. J'avais une autre question en tête: «Quessé qui est arrivé?» Je me la suis posée plusieurs fois, de ma voix intérieure la plus grave, sur un air de Claude Dubois (je ne le dis pas pour la rime, mais pour Rutebeuf). N'y avait-il personne, pendant tout le processus créatif, pour lever un petit drapeau rouge? Pour appréhender le naufrage annoncé? Un énorme iceberg à bâbord!

À mi-parcours, j'ai eu envie de tirer sur les canards en carton qui sortaient la tête de l'eau, comme dans une fête foraine, tellement je n'en pouvais plus. Cette scène interminable, avec son côté burlesque pour jeune public de la Maison Théâtre, a fini de me convaincre de l'échec de l'entreprise.

On l'a pourtant dit aussi: c'est vrai que la musique de Daniel Bélanger est inspirée, que le dispositif scénique est spectaculaire et que les effets visuels sont fort impressionnants. Prouesses techniques au service d'une mise en scène ingénieuse, mais à force, elle aussi est redondante.

Seulement, comment faire fi de ce texte éteignoir, envahissant, d'une poésie maladroite pétrie de bons sentiments? «Le hululement mélancolique de la tourterelle.» Par moments, j'avais l'impression d'assister à un sketch de Marc Labrèche à 3600 secondes d'extase.

Entre la fable écologique, le récit apocalyptique, la bluette sentimentale et la bible en papier, Paradis perdu, l'histoire d'un soldat-qui-plantait-des-arbres, exaspère surtout par sa morale fleur bleue insistante. Celle de l'écologie comme religion du nouveau siècle. Avec ses excès bien-pensants, son dogme simpliste, sa vision manichéenne, sa croisade socialement irréprochable.

Un Petit Prince écolo, dans l'enrobage vaguement nouvel-âgeux du Cirque du Soleil, semant à tout vent des métaphores environnementales d'une lourdeur accablante. «Deux corps se rencontrent. Et dans le besoin irrépressible de bourgeonner...» On dirait un livret de Luc Plamondon. L'écologie dans une posture messianique - le soldat est crucifié sur une croix de mitraillettes -, noyée dans une logorrhée de rimes. Avatar, en prose. Dommage.

Je ne comprends pas

Une précision: je suis, j'ai toujours été, fan de hockey. J'ai détesté les Nordiques à mort comme la plupart des Montréalais, j'ai des souvenirs vifs de la Coupe de 1986 et de celle de 1993, j'ai suivi, au moins en partie, tous les Championnats du monde junior depuis 25 ans. J'ai joué au hockey, je joue au hockey, et pourtant, je ne peux pas comprendre l'intérêt de regarder en direct un match de ligue de garage à la télévision.

Pour des raisons strictement professionnelles, j'ai dû souffrir jusqu'à présent toutes les émissions de La série Montréal-Québec, alias Star Académie rencontre les Ice Capades, alias Occupation double se fait rentrer dans la bande par Les boys. Je suis resté à l'écoute, lors du premier gala à TVA, jusqu'à ce que le 56e joueur-retranché-injustement-par-les-Cataractes-de-Shawinigan ne rate le filet, trois heures et demie trop tard. J'ai regardé le lendemain, des minutes durant, des participants tenter de régler leur réveille-matin, au son d'une musique sirupeuse. Un montage d'une intense émotion.

Ce dimanche, j'ai enfin vu une bande d'inconnus s'accrocher, faire des passes imprécises et rester trop longtemps sur la glace pendant qu'un coach traitait l'arbitre-showman de tous les noms. Édifiant. Je sais, je sais: le Québec est passionné de hockey. Il est aussi passionné de politique, et il ne passe pas ses après-midi à regarder CPAC.

Je peux comprendre l'intérêt extraordinaire des téléspectateurs pour Le banquier (le suspense pour le suspense) ou Star Académie, qui lance des carrières de chanteurs à voix et de vendeuses de Tupperware. Mais 1,5 million de personnes regardant un match de deux heures et demie entre deux douzaines de joueurs pas assez forts pour le Loïs Jeans de Pont-Rouge ou l'Isothermic de Thetford Mines, ça, franchement, je ne comprends pas. C'est presque le double de l'auditoire du Canadien...

La série Montréal-Québec m'avait pourtant agréablement surpris à ses 25 premières minutes. Un traitement documentaire sobre pour un vaste concours panquébécois de hockeyeurs de talent. Il y avait là de beaux personnages, dont un monsieur de 70 ans et plusieurs «madames», comme dirait Michel Bergeron. Pas d'animation racoleuse, plusieurs images éloquentes. Ça ne pouvait pas durer. Il fallait un pseudo-ballotage, une chanson poche d'Éric Lapointe et des entrevues avec les grands-parents des joueurs pour meubler le temps d'antenne.

Avec un montage des meilleurs moments des matchs, et davantage d'incursions dans la chambre des joueurs en compagnie des entraîneurs, ce Montréal-Québec aurait pu être à la hauteur des attentes. En lieu et place, combien parie-t-on qu'on aura droit à une bagarre du type «Vendredi saint» d'ici trois semaines?

 

Photo: Valérie Remise, fournie par la production

Paradis perdu: un Petit Prince écolo, dans l'enrobage vaguement nouvel-âgeux du Cirque du Soleil, semant à tout vent des métaphores environnementales d'une lourdeur accablante.