Ce qui m'a le plus frappé samedi en lisant l'excellent dossier de mes collègues sur les habitudes de consommation culturelle des cégépiens («Génération iPod») dans le cahier Plus? À quel point les goûts des jeunes sondés sont conventionnels. Et comment, somme toute, malgré la révolution technologique, la situation ne semble pas avoir changé outre mesure depuis 20 ans

Selon le sondage de La Presse mené dans 10 cégeps, 64 % des quelque 600 répondants préfèrent la musique en anglais, contre seulement 6 % en français. Ils sont 57 % à préférer le cinéma américain, contre 8 % le cinéma québécois. Et parmi leurs émissions de télé préférées, seulement trois sur 15 sont québécoises.

Bref, le français n'a pas la cote chez les jeunes de 17-18 ans. Surpris? Pas le moindrement. La facilité d'accès aux produits culturels américains, surtout grâce au web, explique sans doute en partie ces résultats. L'hégémonie américaine en matière de culture de masse n'a jamais été plus évidente. Une série télé comme House est aussi connue en Europe qu'au Québec (où elle se classe au deuxième rang des émissions préférées des cégépiens interrogés par La Presse).

Une nouvelle génération d'artistes français chante en anglais, soulignaient aussi samedi dans nos pages Marie-Christine Blais et Alain Brunet. Comme de jeunes Islandais, Sri Lankais, Japonais et Québécois. La mondialisation et l'émergence des nouvelles technologies ont certainement exacerbé, depuis 10 ans, les phénomènes de l'impérialisme culturel américain et de l'anglais comme langue universelle. Mais ces phénomènes ne datent pas d'hier.

Je suis entré au cégep Bois-de-Boulogne en 1990. Les cégépiens que nous avons sondés n'étaient pas nés. Si La Presse avait mené une enquête semblable à l'époque (52 questions), je suis loin d'être convaincu que les résultats auraient été plus rassurants pour ceux qui craignent un désamour et un désintérêt de la culture québécoise chez les jeunes.

Il y a 20 ans, bien des élèves de mon cégep ne soupçonnaient même pas l'existence d'un «cinéma québécois». C'est tout juste s'ils avaient entendu parler de Ding et Dong le film. Si 8 % de mes camarades de classe avaient affiché, comme les cégépiens d'aujourd'hui, une préférence pour le cinéma québécois au détriment du cinéma hollywoodien, j'en aurais été le premier surpris.

Au tournant des années 90, il n'y avait guère à la télévision québécoise que Lance et compte pour exciter un peu ma génération Passe-Partout. Les téléromans en carton-pâte de l'époque nous indifféraient complètement. Mes amis et moi, américanophiles au possible, préférions de loin Seinfeld à CTYVON et les reprises de Three's Company à La maison Deschênes.

Aussi, nos préférences musicales n'étaient certainement pas plus québécoises que ne le sont celles des cégépiens d'aujourd'hui. À ma première année de cégep, Jean Leloup a fait paraître L'amour est sans pitié. J'ai pratiquement découvert que le rock québécois pouvait encore être pertinent, 15 ans après Harmonium. Disons que Vilain Pingouin et Les Parfaits Salauds ne comblaient pas exactement les attentes des fans de grunge ou de rock alternatif.

«J'aime mieux la musique en anglais parce que je ne comprends pas les paroles. En français, les textes n'ont pas toujours beaucoup d'allure», dit une cégépienne interviewée par mon collègue Paul Journet. Difficile de la contredire en entendant Jonathan Painchaud chanter: «Je suis un chanteur populaire et je fais ce que j'peux pour ne pas être amer/Lorsqu'il me faut passer par-dessus mes principes/Pour qu'on joue mes chansons ou mes vidéoclips.»

Au tableau des artistes préférés des cégépiens sondés, on trouve huit Québécois sur 13. On ne s'étonne pas de voir en tête de liste les noms de Louis-José Houde, Martin Matte et Rachid Badhouri, tellement ils sont omniprésents dans les médias. Mais le romancier Patrick Senécal (4e), plus populaire que Johnny Depp, Lil' Wayne, Eminem, Coldplay et Lady Gaga? Une autre raison de ne pas trop s'inquiéter du rapport des jeunes à notre culture, à mon avis.

Ce qui me surprend au moins autant que la popularité de Patrick Senécal auprès des jeunes, c'est celle de Céline Dion, quatrième parmi les groupes ou chanteurs québécois favoris des cégépiens, après les prévisibles Cowboys fringants, Kaïn et Jean Leloup. Céline Dion chouchou des cégépiens? Il n'y a plus de pot dans nos écoles?

«Les goûts des cégépiens ne diffèrent pas trop de ceux du reste de la population.» C'est à mon sens la phrase qui résume le mieux notre enquête. Ils ont 17 ou 18 ans, et ils regardent Trauma, lisent Marie Laberge, écoutent Céline Dion, et leurs deux films favoris sont Avatar et De père en flic. Le terreau de la contre-culture n'est plus ce qu'il était.