Avez-vous vu Michelle Obama à Jay Leno lundi soir à NBC? Vêtue d'un ensemble jaune J. Crew dont elle était fière de pouvoir dire qu'il avait été commandé sur l'internet - «Je n'ai pas le temps de faire du magasinage autrement!» -, la femme de Barack Obama était tellement à l'aise qu'on pouvait presque se demander si elle avait réellement préparé des messages-clés avec les spécialistes en communication remplissant les coulisses du Parti démocrate, comme c'est l'usage pour ce genre d'entrevue.

Elle a fait des blagues, elle a rappelé aux gens l'importance d'aller voter, elle a parlé de son mari sur le ton de la confidence - elle a conté, par exemple, qu'il lui avait apporté des fleurs pour leur anniversaire de mariage et qu'ils étaient allés manger ensemble malgré la folie de la fin de la campagne. Elle a même trouvé l'élégance de parler de sa propre frugalité vestimentaire sans assommer la colistière républicaine, Sarah Palin et sa garde-robe à 150 000$.

Instruite, femme de tête à la fois forte et relax, Me Obama - car elle est avocate comme son mari - en dit long sur le genre de société que Barack Obama voit dans ses céréales quand il se lève le matin.

En fait, plus j'y pense et plus je comprends les Américains d'accorder une importance primordiale aux conjoints de leurs candidats et de leurs élus. Au temps de Géraldine Ferraro, la candidate à la vice-présidence démocrate qui a dû expliquer certaines anomalies fiscales chez son mari, et même Teresa Heinz Kerry, maintes fois critiquée pour son franc-parler, je les trouvais présomptueux de fondre les personnalités du mari et de la femme comme si leurs cerveaux étaient fusionnés.

Or, plus ça va et plus je me dis que le couple en dit long, mais dans la différence entre les deux personnalités. Car c'est dans le reflet de l'un sur l'autre qu'on peut comprendre la vision et la compréhension du monde d'un politicien.

Bref, aujourd'hui, si vous voulez découvrir le type de société qu'un candidat a en tête, regardez qui il ou elle a choisi d'épouser. Une femme qui parle? Une femme qui se tait? Une «liftée» ? Une extravagante? Une amateure d'art? Une intello? Un col bleu?

Prenez Cindy McCain, par exemple, avec ses tenues à 300 000$, sa très grande blondeur et son improbable tonus facial. Ne trouvez-vous pas qu'elle a l'air sortie d'un épisode de Dallas? Elle n'a pas les mégaépaulettes super années 80 de Linda Evans dans Dynasty, mais ne reflète-t-elle pas cette impression que le républicanisme de John McCain veut tirer parti d'une certaine nostalgie pour la prospérité à la Reagan?

Michelle Obama, de son côté, fait penser à Claire Huxtable, la toujours fiable mère de famille avocate du Cosby Show. Comme chez Claire, on sent la battante, on sent la coéquipière et on sent le sourire en coin de la femme qui tient son bout et qui est sur scène à part entière, quitte à faire des gaffes comme Michelle en a fait, avant de les assumer, de se corriger, et de repartir de plus belle en campagne.

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En regardant Mme Obama faire rigoler Jay Leno à la télé l'autre soir, j'ai repensé aussi à la campagne électorale canadienne et l'étrange bâillon que le parti essaie de mettre sur Laureen Harper, la femme du premier ministre, qui s'appelait d'ailleurs Laureen Teskey jusqu'à son arrivée au 24, Sussex.

Officiellement, on essaie de la faire passer pour une mère de famille qui consacre tout son temps à ses enfants et à la randonnée pédestre. Mais en fouillant un peu, on réalise qu'elle adore les arts, qu'elle est moins religieuse que son mari et plutôt rieuse et extravertie, qu'elle a été jusqu'à son arrivée à Ottawa une prospère chef d'entreprise et qu'elle sort sans son conjoint dans les galas de la capitale...

Bref, sa personnalité est beaucoup moins traditionnelle qu'on pourrait le croire en lisant les notes biographiques fournies par le parti.

Or, on la garde silencieuse.

Pourtant, si Laureen Teskey avait pu montrer qu'elle ne correspond pas à l'image de «red neck» pro-fusil, pro-vie, pro-prison, anti-culture, que les adversaires du Parti conservateur aiment nourrir, peut-être aurait-elle marqué des points dans les zones urbaines où on craint le conservatisme social du parti de Harper.

Pourquoi, au Canada, le premier ministre choisit-il d'avoir une femme muette?