Lorsque Barack Obama est arrivé sur scène, à Grant Park, mardi soir, à Chicago, il n'avait pas le sourire fendu jusqu'aux oreilles, radieux, éclatant, contagieux, de celui qui vient de gagner le Super Bowl. Ou la Coupe du monde de la politique.

Il souriait humblement.

Il souriait comme celui qui vient d'apprendre qu'à la croisée des chemins, il a réussi, contre toute attente, à prendre la bonne voie, celle qu'il voulait.

Il n'y avait pas l'assurance du vainqueur se pétant les bretelles à laquelle nous ont habitués les «frat boys», WASP et autres représentants des élites qui ont gagné avant lui les élections américaines. Ou canadiennes, québécoises, françaises, britanniques...

Pas de V de la victoire ostentatoire à la foule. Pas de pouce en l'air. Pas d'évident clin d'oeil complice aux meilleurs donateurs ayant gagné une place stratégique, dans la cohue, sur le parcours du gagnant. Même pas de petit cognement de poing complice avec sa femme comme il l'avait fait en juin au Minnesota, après sa victoire décisive aux primaires.

Obama s'est présenté avec humilité, comme s'il tenait à garder les pieds sur terre. Comme si les chiffres en disaient bien assez. Comme s'il voulait montrer au monde à quel point il n'a rien à voir avec ceux qui, grâce à leur argent, leur race, leur éducation, leurs origines familiales ou sociales, sont habitués de gagner et connaissent par coeur les rituels traditionnels de ces moments de gloire.

Son sourire esquissé semblait parler du poids des défis à venir bien plus que d'une conquête, d'un début bien plus que d'une finalité.

Évidemment, l'homme est fatigué après tant de mois passés à faire campagne et son regard, qui contenait à la limite une note de tristesse - la mort de sa grand-mère? - illustrait peut-être plus son épuisement que son état d'esprit à son arrivée au pouvoir.

Et va savoir ce qui se passe dans la tête de celui qui devient soudainement le visage d'un nouveau chapitre des livres d'histoire et doit monter sur scène devant 100 000 personnes et parler en direct devant d'autres millions dans le monde entier qui le regardent à la télé, pour mettre des mots sur cette magistrale bifurcation populaire.

Reste que la victoire d'Obama a reposé clairement sur son incroyable capacité d'aller chercher votes et appuis moraux et financiers chez des électeurs qui se sont sentis longtemps à l'extérieur des préoccupations des cercles de pouvoir de Washington. Noirs, latinos, jeunes, gais, chefs de famille monoparentale, pauvres, malades ruinés, cols blancs épuisés ... Et hier, par son sourire humble, le candidat semblait vouloir dire à tous ces gens qu'il tenait à rester avec eux, au même étage du monde, là où le chemin à parcourir n'est pas un tapis rouge.

Dès le début de sa campagne, Barack Obama s'est positionné comme un adversaire du cynisme et il n'a cessé de parler à la population pour la convaincre, d'abord et avant tout, de recommencer à croire à la capacité des élus d'être de réels promoteurs de changements. En choisissant l'humilité, Obama fait à ses électeurs une sorte de «fist bump» invisible et continue ainsi d'essayer de maintenir ce contact, cette connexion dont il croit qu'elle sera le véritable moteur du changement.