Un époux peut-il faire annuler son mariage après avoir constaté que sa nouvelle femme n'était pas vierge pour la nuit de noces?

Un tribunal de Lille, dans le nord de la France, a d'abord dit oui. Mais la décision a causé une telle controverse que même si les deux ex semblaient plutôt satisfaits de cette fin de leur union, la ministre de la Justice a décidé, mesure exceptionnelle, de demander à un tribunal de plus haute instance de revoir le jugement.

 

C'est cette autre décision qui a été rendue hier et qui casse la première. Cette fois, la magistrature affirme que lorsqu'une femme ment sur sa virginité, elle ne ment pas sur une de «ses qualités essentielles», peu importe la supposée importance de la virginité pour son futur-ex mari (dans ce cas-là, il est musulman). Et ceci ne constitue donc pas un «fondement valide» pour l'annulation d'un mariage.

Les ex-époux se retrouvent donc théoriquement à nouveau mariés et devront maintenant divorcer s'ils veulent mettre fin à leur union.

Pour le couple, la décision est enquiquinante. Mais quel soulagement pour la société en général et les femmes en particulier. Imaginez s'il avait fallu que la jurisprudence française inscrive un mensonge sur la virginité au même titre, par exemple, qu'un mensonge sur un passé criminel grave ou l'usurpation d'identité, sur la liste des justifications pour l'annulation d'un mariage!

Évidemment, on lit déjà sur les blogues et on entend déjà dans les chaumières les applaudissements nourris face à cette décision et les échos de toutes les intolérances, comme si le tribunal, soudainement, donnait raison aux préjugés.

Ces réactions me font peur autant qu'elles font peur à toutes les personnes ouvertes à la diversité religieuse qui veulent s'arracher les cheveux ou pleurer de rage quand elles entendent les propos discriminatoires et idiots à l'endroit des musulmans que l'on entend constamment.

Sauf que la bêtise de l'intolérance ne doit pas non plus nous empêcher de nous préoccuper de la protection de l'égalité entre hommes et femmes. Et elle ne doit pas nous empêcher de nous réjouir de la décision du tribunal français de protéger les femmes contre une notion aussi rétrograde que l'obligation de virginité prénuptiale.

Difficile de ne pas repenser, dans ce contexte, à tous les débats qui ont eu lieu au Québec durant la dernière année au sujet des accommodements raisonnables.

Difficile de ne pas repenser à la façon dont la commission Bouchard-Taylor, pourtant coprésidé par l'un des philosophes les plus brillants du Canada, a complètement raté l'occasion de nous éclairer à réfléchir au conflit éthique et philosophique que pose la collision entre ces deux notions fondamentales que sont la tolérance envers la diversité religieuse et la protection de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Pourtant, une grande partie des «accommodements raisonnables» qui ont rendu nécessaire la tenue de cette commission touchait ce conflit. Rappelez-vous. De l'incident des fenêtres givrées du YMCA aux problèmes soulevés par le port du voile dans certains sports en passant par toutes les demandes particulières concernant certains services publics, à chaque fois, le problème était à peu près le même: ces accommodements faisaient la manchette parce que l'égalité homme-femme y était remise en question.

Dans un petit livre publié aux éditions Sisyphe et intitulé Démocratie et égalité des sexes, Diane Guilbault, féministe de longue date, explique que selon elle, la commission Bouchard-Taylor est passée à côté du coeur de ces questions en traitant les «accommodements raisonnables» comme une question d'immigration et d'intégration alors qu'en fait, c'est une question plutôt de droit: la collision entre la laïcité égalitaire des institutions publiques et certaines pratiques de vie issues de lectures de certaines religions, choisies parfois par des immigrants, mais parfois aussi par des communautés qui font partie intégrante du Québec depuis longtemps.

L'affaire sur la virginité en France nous rappelle en plus que cette question touche les sociétés occidentales en général, n'a rien de typiquement québécois et revient toujours au même noeud central: comment peut-on protéger l'égalité, tout en demeurant tolérant. Ou comment être tolérant sans toutefois remettre en question l'égalité?