En période électorale, on entend tout le temps, à toutes les sauces, politiciens et électeurs affirmer qu'ils ne croient pas aux sondages, que c'est l'élection le seul sondage, etc.

L'ancien premier ministre Jean Chrétien appelait ça «les polls», en insistant sur la profondeur du o pour y ajouter une petite note de vulgarité, comme s'il était impossible que ces exercices de mesure aient un jour la noblesse du vrai contact humain et d'une prise de pouls réelle de la population.

 

Les électeurs aussi, avec les années, sont devenus de plus en plus sceptiques face à ces sondages qui se sont avérés parfois décalés et même, à l'occasion, carrément à côté de la réalité. Est-ce pour cela que de moins en moins de gens répondent aux sondages téléphoniques? Sûrement un peu, en plus que les sondeurs ont le don d'appeler pendant que le steak haché est en train de brûler.

Chose certaine, m'expliquait hier Alain Giguère, un des grands patrons de CROP, il y a 30 ans, un taux de réponse téléphonique de 75% était dans la grande normale. Aujourd'hui, on est content lorsqu'il atteint 45%.

Lundi, les résultats électoraux ont encore une fois montré que la boule de cristal des sondeurs avait peut-être besoin d'être mieux astiquée.

Alors qu'on donnait 29% d'appuis au PQ (CROP), le parti de Pauline Marois en a pris 35%. Et tandis que 45% des électeurs devaient appuyer le PLQ (Léger Marketing), les libéraux ont à peine réussi à aller chercher 42%, ce qui nous place à la limite de la marge d'erreur.

Bref, il y a de quoi se demander si l'art du sondage ne serait pas en crise, question à laquelle je répondrais avec trois mots: Angus Reid et internet.

Pendant que nous étions tous en week-end à préparer une journée d'élections sans surprise, le sondeur canadien a en effet rendu public un dernier sondage qui, lui, identifiait la remontée du Parti québécois. Publié vendredi, ce sondage mené en ligne, auprès d'électeurs «certains d'aller voter», donnait en effet 36% des voix au PQ et 42% au PLQ. Presque un score parfait. (En réalité, le parti de Mme Marois a eu 35% des votes).

Angus Reid était un peu à côté pour l'ADQ, à qui il donnait 13% des intentions de vote alors qu'il est allé en chercher 16%. Mais pour les deux principaux partis, ce sondage était, sans conteste, le plus précis.

Patrick Klein, vice-président aux affaires publiques de la société de sondage, croit que quelques facteurs ont joué en faveur de cette précision, notamment le «timing», donc le fait que le sondage ait été effectué la fin de la semaine dernière, ce qui a permis de tenir compte des événements politiques à Ottawa.

Un autre facteur important, croit-il, c'est le fait que ce sondage ait été effectué par l'internet, ce qui a permis ce «timing» de dernière minute, et ce qui permet de travailler avec un échantillon de plus de 900 personnes choisies avec une grande précision à partir d'un panel de 100 000 internautes canadiens recrutés sur le web par la maison de sondage.

Actuellement, l'idée de faire des sondages électoraux par l'internet ne fait pas l'unanimité, si je me fie à tous les sondeurs à qui j'ai parlé hier. Oui le côté «volontaire» de l'inscription au sondage - contrairement au dérangement causé à la maison par un appel soudain d'un sondeur - peut aider les taux de participation, dit-on.

Mais ces répondants volontaires sont-ils fiables? Et l'internet est-il assez présent dans les foyers pour qu'on puisse vraiment sonder la population?

Les gens d'Angus Reid sont convaincus que ces craintes anciennes ne sont plus justifiées si on sait comment travailler avec ce nouvel outil, bien sélectionner les échantillons, bien pondérer. D'ailleurs, rappelle M. Klein, non seulement le sondage de vendredi a-t-il montré que cette technique était valide, mais le sondage fait à la fin des élections fédérales l'a montré tout autant. Angus Reid donnait 38% des votes au PC, 28% aux libéraux fédéraux et 19% au NPD et le compte final fut de 38% au PC, 26% aux libéraux et 18% au NPD.

René Pelletier, de la firme Baromètre, croit quant à lui que ce qui fait la précision d'Angus Reid, ce n'est pas tant la technologie que la décision du sondeur de ne s'intéresser qu'aux électeurs «absolument certains d'aller voter».

«Moi, je fais ça au niveau municipal depuis des années parce que quand les taux de participation sont faibles, c'est la seule façon de s'approcher du vote», explique M. Pelletier.

Lorsqu'on sonde tout le monde, les électeurs qui n'iront pas voter donnent leur opinion, mais peuvent faire indûment pencher les résultats d'un côté ou d'un autre, car les niveaux de participation électorale diffèrent selon les partis et selon les enjeux de chaque élection. Et essayez de tenir compte de ça quand vient le temps de pondérer!

En demandant à chaque sondé: «Êtes-vous convaincu d'aller voter, cette fois-ci», la lecture de l'opinion publique reste précise.

Et lundi, comme le taux de participation a été très faible, c'est le sondeur qui s'est fié seulement aux convaincus d'aller voter qui a eu l'heure la plus juste.