Quand j'étais petite, pratiquement chaque Noël, une tante ou un oncle arrivait à la fête avec un fromage de lait cru ou un saucisson rapportés de France en catimini dans leurs valises. À l'époque, on n'avait pas au Québec de produits équivalents. Chaque fois, on faisait tout un cinéma autour de la clandestinité du geste, ce qui ajoutait au produit un air d'interdit le rendant, évidemment, encore plus savoureux.

Au festival Montréal en lumière, j'observe depuis des années un phénomène semblable.

L'autre jour, par exemple, je rencontre un chef parisien qui me montre fièrement un pot de verre rempli par trois énormes truffes noires du Périgord, qui se mettent à embaumer furieusement la pièce dès le couvercle enlevé.

 

Trois beaux spécimens apportés dans ses valises.

«Quand j'ai compris que je ne pouvais pas les apporter comme ça tout bonnement, il était déjà trop tard», dit-il.

Alors le chef a pris le risque.

Sans s'en vanter, il a pris sa valise avec ses truffes bien emmitouflées dans leur récipient hermétique et il s'est croisé les doigts.

«En arrivant ici, continue-t-il, des chiens sont venus sentir ma valise et j'avoue que j'ai été inquiété.» Mais apparemment, les bêtes cherchaient autre chose. Et les truffes ont passé les douanes, ni vu ni connu.

Le folklore du festival est rempli de moments semblables.

Apporter de la nourriture au Canada est loin d'être un crime. La preuve, c'est qu'on mange ici des tonnes de produits importés, incluant les truffes pour ceux qui ont les moyens de s'offrir ce produit hyper luxueux. Par exemple, mercredi et jeudi soir, au Laurie Raphaël, le chef parisien Patrice Hardy, avec l'aide du chef québécois Daniel Vézina, a préparé un repas spectaculaire entièrement axé sur la truffe, qui a été cuisinée en glace autant qu'en risotto. Les truffes ont alors été importées par les canaux très officiels. Même chose, entre autres, pour les truffes servies en damier avec pétoncles et huile de noisette, plat classique d'Alain Passard, qui était reçu par Toqué! la semaine dernière.

Reste qu'importer officiellement de tels produits, très précis, très rares, est compliqué. Allez faire un tour sur le site officiel de l'Agence canadienne d'inspection des aliments et vous comprendrez que ce n'est pas le genre de démarche qu'on a envie d'entreprendre pour apporter trois champignons ou un paquet de radis de variétés inédites ici.

Et puis, parfois, les douanes bloquent effectivement certains produits.

Il y a quelques années, par exemple, un chef catalan a tenté, en vain, d'apporter ici des ingrédients typiques dont il avait besoin pour ses extravagants desserts. Mais les composantes apportées en petite quantité pour un seul repas n'ont jamais franchi la frontière. Et évidemment, ce qui avait été bloqué était en fait des produits introuvables ici. Résultat: des heures et des heures de stress à chercher des produits équivalents alors que le compte à rebours du repas avait déjà été lancé. Et de l'improvisation inévitable en cuisine.

Autre anecdote: il y a quelques années, un aubergiste canadien était arrivé à un repas avec des bouteilles de vin d'une autre province, qu'il tenait à faire goûter aux Québécois. Sauf qu'il avait fini par les donner à la clientèle, incapable de les servir vu les règles de la SAQ.

Quand on sait que des produits aussi banals que, par exemple, les sardines de marque Connétable, une marque traditionnelle française de sardines de qualité vendues partout au monde, ne sont plus offertes ici parce que les boîtes ne conviennent pas tout à fait selon notre législation, doit-on s'étonner qu'un chef apporte lui-même en clandestinité dans ses bagages une petite bouteille de liqueur ici, un petit vinaigre maison par là? Ou même un fond de veau fumé?

Le chef Stelio Perombelon se souvient en effet qu'une année, alors qu'il travaillait encore chez Leméac, une chef américaine était arrivée avec son propre fond de viande, préparé avec des viandes fumées dans son fumoir de San Francisco. Un autre chef canadien, lui, est arrivé avec des glaces déjà gelées.

D'année en année, on dirait que de moins en moins de chefs apportent des produits ici, comme si, de guerre lasse, on avait abandonné l'idée de faire de ce festival un lieu où goûter non seulement l'expertise, mais aussi les produits d'ailleurs apportés par nos invités.

En fait, on semble s'être fait une raison: tous les chefs que j'ai interviewés depuis le début du festival m'ont assurée qu'ils étaient ravis de cuisiner avec les produits d'ici et que cela faisait partie de l'intérêt de voyager.

Sauf que pratiquement tous avaient aussi apporté un tout petit produit en secret.

COUP DE COEUR: Pour la crème de parmesan à la gelée truffée et la salade de pommes de terre fumées aux truffes préparée par Patrice Hardy chez Laurie Raphaël.

LE PLAN: Manger la cuisine d'Inaki Aizpitarte à La Montée.

RECOMMANDATION: Chez Cocagne, Alexandre Loiseau, spécialiste des produits régionaux, bâtit un menu gastronomique autour du foie gras et du sirop d'érable (75$ avant vin, aujourd'hui et demain). Et ce midi, dernière occasion de goûter au menu monté par Joël Veyssière, le chef du Pied de cochon parisien, servi chez Europea (29,50$, incluant les vins).