Lundi dernier, en fin de journée, lorsque j'ai entendu parler de l'excommunication de la mère et de l'équipe médicale ayant aidé une enfant brésilienne de 9 ans, victime de viol, à se faire avorter, j'ai eu deux réflexes plutôt typiques de journaliste (O.K., un peu tendance workaholic dans mon cas): d'abord, écrire un blogue sur l'affaire. Ensuite, dès mardi matin, appeler les cardinaux Jean-Claude Turcotte, de Montréal, et Marc Ouellet, de Québec, pour avoir leur réaction.

Je me disais que ce serait intéressant de voir, de leur point de vue québécois, ce qu'ils pensaient de cette décision de l'évêque brésilien, celle d'excommunier évidemment, ou plutôt d'en faire tout un plat public. Car l'excommunication est automatique dans les cas d'avortement. La particularité de l'histoire brésilienne, c'est qu'on en a fait l'annonce haut et fort, pour marquer le coup, faire peur ou je ne sais trop.

J'ai donc laissé des messages à nos deux cardinaux. Et j'ai attendu.

Toute la semaine.

Je les ai relancés.

Hier, au moment d'envoyer ce texte, je n'avais toujours eu aucune réponse.

Mgr Turcotte, dès le début, m'a fait dire par son attachée de presse qu'il ne commenterait pas. Il n'a apparemment pas changé d'avis durant la semaine.

Mgr Ouellet, lui, a fait dire par son attachée de presse qu'il était en déplacement et donc injoignable.

Au début, je me suis dit que peut-être, comme lorsqu'on fait partie d'un caucus politique, ils étaient liés par une sorte de solidarité ministérielle qui les empêchait de donner leur avis. Et c'est pour cela, ai-je conclu, qu'on m'a dirigée vers Bertrand Ouellet, secrétaire général et porte-parole laïque de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec, qui dans une entrevue pleine de générosité a laissé entendre que l'évêque brésilien aurait pu être plus compatissant, sans pour autant prendre fermement position pour condamner son attitude.

Je n'étais donc pas encore complètement scandalisée par le silence de nos cardinaux quand, jeudi, les nouvelles faisant état d'une dissension publique et sans équivoque de la part de plusieurs évêques français ont commencé à paraître.

Gérard Daucourt, évêque de Nanterre, dans une lettre envoyée à l'évêque brésilien qui a prononcé l'excommunication, a écrit: «Je vous rassure tout de suite: pour moi, l'avortement est la suppression d'une vie. J'y suis donc fermement opposé. La mère de cette fillette a peut-être pensé qu'il valait mieux sauver une vie que de risquer d'en perdre trois... Peut-être les médecins lui avaient-ils dit qu'un petit utérus de 9 ans ne se dilate pas indéfiniment... Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que, dans cette tragédie, vous avez ajouté de la douleur à la douleur et vous avez provoqué de la souffrance et du scandale chez beaucoup de personnes à travers le monde.»

Francis Deniau, évêque de la Nièvre: «Comme évêque, je suis solidaire de tous les évêques du monde. La solidarité impose de dire ses désaccords, sinon elle ne serait que complicité. Je dois dire à mon frère l'évêque de Recife - et au cardinal qui l'a soutenu - que je ne comprends pas leur intervention. Devant un tel drame, devant la blessure d'une enfant violée et incapable, même physiquement, de mener à terme une grossesse, il y avait autre chose à dire...»

Norbert Turini, évêque de Cahors: «L'opinion publique réagit. Je comprends son émotion. Pourquoi n'avoir pas gardé le silence devant une telle détresse? Pourquoi ajouter de la sévérité à tant de souffrance? Beaucoup se questionnent.»

Ici, quelques timides voix se sont fait entendre. Mgr André Gaumond, de Sherbrooke, a dit que le geste lui semblait trop rigide. L'évêque auxiliaire de Saint-Jean-Longueuil, Louis Dicaire, a au moins accepté d'en parler à la télé et à la radio.

Mais les deux figures principales de l'Église catholique au Québec? Rien. Silence.

Et ce, même si la conférence nationale des évêques du Brésil a elle-même jugé nécessaire de désavouer la décision.

Ce ne sont pas surtout les non-croyants, les athées et tous ceux qui ont totalement déserté l'Église catholique depuis les débuts de la Révolution tranquille qui sont dérangés par ce mutisme.

Si je me fie à toutes les réactions entendues depuis une semaine, ce sont d'abord et avant tout les catholiques, voire les pratiquants, qui sont déçus et souvent outrés. Des catholiques qui se désespèrent de voir l'Église québécoise en particulier et le Vatican en général dériver tellement loin de la réalité sociale du monde moderne occidental que cela remet en question leur pertinence même.

Il y a une foule d'aspects choquants, blessants et totalement déconnectés de la réalité du vrai monde dans les positions de l'Église catholique au sujet de toutes sortes de dossiers allant du célibat des prêtres au statut de second ordre des femmes dans cette religion, en passant par la contraception et l'homosexualité.

Cette semaine, personne ne demandait aux leaders de l'Église de les régler tous, tout d'un coup. La patience des cathos est exemplaire.

Tout ce qu'il fallait dire pour assurer la population d'une certaine pertinence, aujourd'hui, ici, de cette institution, c'est dire humainement et généreusement que ce qui s'est passé au Brésil est inacceptable et que ce n'est pas vrai qu'au Québec l'Église est à ce point bornée.

Est-ce trop demander?