En sortant de la cabane à sucre, l'an dernier, où nous avions eu droit à du jambon en tranche de supermarché, de l'omelette trop cuite au simili-bacon, du ketchup Heinz, des crêpes en poudre et de la tarte à la fécule de maïs, je me suis juré qu'on ne m'y reprendrait plus.

Autant j'adore le sirop - mais surtout le beurre - d'érable, autant je trouve délicieuse la tradition de la tire sur la neige, autant je ne suis plus capable d'endurer ces repas de cabane à sucre sans goût dont l'âme a été vendue depuis longtemps au complexe agro-industriel.

Et le pire, c'est que cette cabane n'était pas, justement, ce que tout le monde appelle «une cabane industrielle». Elle est toute petite, une quarantaine de places maximum. On me l'avait recommandée parce qu'elle est loin de tout et mignonne. Et tout le monde qui travaillait là était adorable.

Je parle d'agro-industriel parce que la nourriture, comme pratiquement chaque fois que je suis allée à la cabane depuis 15 ans, avait l'air d'avoir été préparée par le gérant d'un Wal-Mart en banlieue de Houston. C'était sec, c'était salé, c'était sans goût. C'était, désolée d'avoir à le dire, plutôt nul.

Est arrivé dans cet univers, la semaine dernière, une sorte d'extraterrestre appelé Martin Picard. Le gars du Pied de cochon. Celui qui met du foie gras partout et qui a réinventé plusieurs plats traditionnels québécois, de la poutine au ragoût de pattes, en leur donnant la saveur et la richesse qu'on aurait toujours aimé qu'ils aient.

Picard et ses associés du Pied ont décidé d'acheter une cabane à sucre et de se laisser inspirer par les traditions, comme ils le font au Pied de cochon, pour ensuite les redéployer différemment.

Ouverte depuis vendredi à Saint-Benoît-de-Mirabel, leur cabane propose la plupart des mets habituels en version revue et, disons-le, pas mal améliorée. L'omelette est au maquereau fumé - exquise - ou au boeuf fumé à l'érable, la soupe aux pois contient des dés de foie gras poché, les oreilles de Christ, fines et fondantes comme des chips, sont servies en salade, et le sirop est décliné dans toutes sortes de formes inusitées, que ce soit pour laquer un canard ou sucrer la bisque qui accompagne le homard. Le sucre d'érable, lui, se retrouve, croquant, au milieu d'une guimauve maison et par-dessus un banana split tandis que l'omelette norvégienne, le baked Alaska de nos grands-mères, totalement années 70, est construit autour d'une glace à l'érable.

Picard ne veut surtout pas qu'on dise qu'il cherche à réinventer la cabane à sucre. Rencontré à Saint-Benoît par une magnifique journée de presque-printemps, quelques jours avant l'ouverture, en train de ronchonner contre le mercure qui ne grimpait pas assez vite à son goût, il explique qu'il n'a aucune ambition qui dépasse ses fourneaux et sa salle à manger.

«Moi, je ne connais rien à l'acériculture, affirme-t-il. Par contre, je connais la cuisine.»

Sa cabane est donc essentiellement une prolongation du Pied de cochon, un second lieu où travailler ses produits triés sur le volet comme il le fait en ville, avec en prime du sirop maison. Beaucoup de sirop. Car Picard adore le sirop d'érable. «Je trouve, dit-il, que c'est notre plus beau produit.»

Mais cette cabane ne passe pas inaperçue. Pour certains, c'est la terre promise; pour d'autres, un geste iconoclaste. Sur l'internet, le débat a déjà commencé. Est-ce trop cher? Est-on en train de créer un monde de luxe inaccessible au pays de l'érable? Ou, en revanche, est-on enfin en train de donner à ce milieu un choc électrique essentiel pour le sortir de sa torpeur? Va-t-on, en offrant un produit de meilleure qualité, ramener bien des gens qui avaient délaissé les cabanes à sucre vers cette activité printanière traditionnelle?

À 45$ par personne, la visite à la cabane du Pied de cochon peut sembler chère pour certains. Mais bien des cabanes demandent 20$ ou 25$ par personne pour une nourriture de qualité médiocre. Pour 20$ de plus, l'originalité et la gourmandise du repas sont décuplées.

En fait, en regardant Picard s'affairer dans sa cuisine, l'autre jour, on pouvait surtout se demander: comment se fait-il que personne ne l'ait fait plus tôt? Pourquoi ce marché de meilleure qualité a-t-il été laissé pour compte?

En outre, si la cuisine du Pied de cochon, que certains trouvent trop lourde, ne fait pas l'unanimité, elle a l'immense qualité d'avoir amené ailleurs la cuisine québécoise. Depuis l'ouverture de la maison de l'avenue Duluth, on ne compte plus ceux qui reprennent les idées de Picard et proposent eux aussi de nouvelles façons de préparer le pâté chinois ou la poutine, le pudding chômeur ou les cretons.

La folie du chef a contaminé le monde de la restauration, qui a fait exploser le concept dans toutes sortes d'offres éclatées, plus ou moins chères, plus ou moins réussies aussi.

En mordant dans un morceau de saumon mariné à l'érable, on ne peut donc que se demander: et si cette nouvelle cabane avait le même effet? Et si elle amenait doucement une remise en question des modèles habituels et une diversification de la clientèle dans ce secteur aussi? Et si, dans le fond, c'était tout le marketing de l'érable qui en profitait, en fin de compte?

Moi, si un jour vous me demandez mon avis, je vous dirai qu'il était fichtrement temps que quelqu'un, quelque part, amorce ainsi le dépoussiérage de tout ce pan précieux de notre héritage gastronomique.