Je pensais écrire une chronique pour demander à la Ville de Montréal de changer sa réglementation sur la vente de nourriture dans la rue afin qu'on puisse nous aussi rêver d'avoir un jour accès à des barbecues coréens roulants comme à Los Angeles ou à des bars à pâtisseries mobiles, dans la rue, comme à New York (sans parler des triporteurs à kebab). Mais je ne suis plus du tout certaine que ce soit la bonne approche.

En tentant de comprendre ce dossier, je me suis pris le pied dans un tel jeu de ping-pong entre la ville centre et les arrondissements que je peux très bien comprendre tous ceux qui ont un jour rêvé de partir en affaires comme restaurateurs roulants d'avoir déjà recyclé et redirigé leurs rêves vers d'autres horizons moins opaques.

 

Tout tourne autour de deux phrases clés qui se répètent sans cesse, rebondissant et s'enchevêtrant l'une dans l'autre comme une sorte de ruban de Möbius municipal: «Ah ça, faudrait le demander à la ville centre» et «Ah ça, faudrait le demander à l'arrondissement».

Vous connaissez le film After Hours de Martin Scorsese? Vous vous rappelez de cette impression qu'on ne s'en sortira jamais...

J'ai donc changé mon fusil d'épaule. Ma nouvelle théorie, c'est que si on n'a pas de popotes roulantes amusantes et délicieuses dans le centre-ville de Montréal comme il y en a pratiquement partout ailleurs dans le monde, et que si on ne reçoit pas de message Twitter nous annonçant que le spécialiste de la soupe thaï ou le marchand de gaufres est à tel carrefour aujourd'hui pour mieux nous délecter, ce n'est pas réellement parce que les fonctionnaires et les élus ne le veulent pas.

Ma théorie, c'est que peut-être qu'eux aussi rêvent tout autant que nous de marrons chauds en janvier, d'une vendeuse de chocolat chaud itinérante en février ou de marchands de glace à la framboise sur roues en juillet. Sauf qu'ils sont eux-mêmes tellement empêtrés dans le «qui fait quoi» municipal que leur gourmandise ne parvient pas à leur donner la force de décoincer ce noeud gordien.

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Voici la réponse que la ville centre m'a donnée quand j'ai abordé le sujet: Ce sont les arrondissements qui délivrent les permis aux cantines mobiles, triporteurs de crèmes glacées et compagnie. Les permis sont octroyés à la pièce et dans le cadre de certains événements, notamment des festivals comme Juste pour rire. Comment? «Il faut leur demander, nous notre responsabilité, c'est d'inspecter», m'a répondu la chef de division de l'inspection des aliments, Christine Vézina, chez qui on m'a dirigée lorsque j'ai appelé au bureau du maire pour savoir à qui m'adresser.

Appel à l'arrondissement de Ville-Marie, le centre-ville. Réponse: «Vendre de la nourriture dans la rue est interdit depuis des lustres pour des questions de santé publique. On peut demander des ordonnances spéciales pour certains événements, mais sinon, il n'y en a pas», m'a expliqué Jacques-Alain Lavallée, porte-parole de l'arrondissement.

- Pourquoi c'est ainsi encore en 2009? Les temps ont changé...

- Il faudrait demander à la ville centre.

C'est en ayant ce genre de conversation que je me suis dit qu'il faudrait probablement une sorte de Gandhi de la cuisine de rue pour que la modernité (en fait, je devrais plutôt dire l'évidence) arrive à Montréal.

Il faudrait que des cuisiniers, dans une sorte d'action citoyenne aussi savoureuse que salubre et ordonnée, se mettent ensemble et investissent les rues avec leurs currys et leurs brochettes et leurs soupes phô et leurs crumbles aux pommes maison, et créent et démontrent l'engouement pour qu'ensuite la Ville soit obligée de se réveiller.

Pourquoi penser ainsi?

Parce que 357 (ou est-ce 459?) années de tergiversations n'ont toujours pas mené à l'ombre d'un changement valable côté cuisine au splendide chalet de la Montagne, sous la juridiction de la Ville. Parce qu'au lac des Castors - toujours la Ville - le résultat est super mitigé: lieu magnifique mais une cuisine qui goûte l'inconfort d'un partenariat privé-public pas optimalement rodé. Parce que le niveau de confiance envers la Ville, après cette histoire de compteurs d'eau, on n'en parlera même pas. Parce que, finalement, on se dit que la possibilité d'une expérience dont la spontanéité ressemblerait à celle des tam-tam du parc Jeanne-Mance est pas mal plus inspirante que l'idée d'une consultation de 15 ans aux relents de sandwichs pas de croûte.

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Manger dans la rue, c'est justement regarder ce qui s'y passe dans cette rue, c'est l'habiter avec les autres. Souvent, attendre en file pour un falafel ou des marrons chauds est en soi une expérience.

Et c'est vrai que l'on soit à New York devant un marchand de hot-dogs ou un bar à gruau, à Paris où les marchands de crêpes au Nutella embaument la rue ou à Salvador au Brésil, où des dames tout habillées de blanc apportent carrément leur réchaud et leur marmite sur le trottoir pour faire frire leurs acaraje, ces boulettes de pâte de haricot frites que l'on sert garnies de crevettes séchées, condiments aux noix d'acajou et autres garnitures au choix.

Otak-otak singapourien (poisson cuit dans une feuille de bananier), tamales péruviens, fish and chips britanniques... Jadis, même les pâtes, les maccheroni, étaient mangées dans la rue à Naples.

La cuisine de rue, la «street food», ce n'est pas une anomalie, un danger pour la santé publique, c'est tout un pan de la gastronomie du monde entier... sauf à Montréal.