J'aime bien Jessica Valenti, la fondatrice du site web feministing.com. C'est une jeune féministe extrêmement éloquente qui, en ce moment, fait flipper la droite américaine avec un livre sur l'obsession conservatrice pour la virginité. Mais une des choses que je préfère d'elle, c'est son profil en cinq mots sur Twitter: «Feminist blogger/writer. Big eater.» En français: Blogueuse/auteur féministe. Bonne mangeuse.

Big eater.

En 2009, une telle affirmation est presque plus taboue et risquée que de s'avouer féministe.

Parlez à des jeunes femmes modernes, émancipées, et elles vous diront qu'elles n'ont pas peur de manipuler la scie électrique, de donner des camions jouets à leurs filles, de mener un procès de front, de faire campagne à la mairie ou à la présidence, de courir le marathon, d'opérer en plein cerveau ou de draguer comme elles l'entendent.

 

Mais avouer qu'elles mangent beaucoup?

Au fait, de nos jours, entendons-nous quiconque dire, sans complexe, aimer beaucoup manger? À part les adolescents en pleine croissance qui ont l'excuse physiologique pour expliquer leur appétit vorace, et peuvent donc en parler sans impunité et sans peur d'être jugés - s'ils sont minces évidemment, car sinon eux aussi auront droit aux regards accusateurs -, qui se permet encore le droit de dire impunément: «Je suis un bon mangeur» ?

Chez les femmes, on oublie ça: 73% disent qu'elles veulent maigrir - incluant 50% des femmes ayant un poids normal et même 21% des femmes sous leur poids normal -, plus de 56% des femmes disent penser à leur poids régulièrement, 37% ressentent de l'anxiété en pensant à leur poids et 22% affirment que la gestion de leur poids domine leur vie1. Pensez-vous vraiment que, comme Mme Valenti, elles sont nombreuses à assumer leur appétit?

Le 6 mai, aujourd'hui, est la Journée internationale «sans diète», un événement lancé en 1992 par une ancienne anorexique. Au Québec, c'est le groupe ÉquiLibre qui souligne maintenant cette date chaque année en organisant différentes activités (infos: www.equilibre.ca).

Le thème de la journée cette année: promouvoir la diversité corporelle, ce qui va, à mon avis, au coeur de la question. Car c'est ce qui manque autour de nous. De la di-ver-si-té.

De la même façon qu'on a besoin de diversité raciale, on a besoin de diversité corporelle au lieu de l'uniformité grande et mince que présentent la télé, les pubs, le cinéma, les magazines, partout, tout le temps...Cela n'a pas d'impact sur le public, vous dites ? Pas d'influence ? Allez là où l'argent permet aux femmes (et de plus en plus aux hommes qui tombent dans le même panneau) qui rêvent à ce modèle, de se fondre dans cette norme. Allez les voir devant une école chic et cher en train d'attendre leurs enfants. Ou au premier rang d'un défilé de mode, ou un jeudi soir rue Crescent ou dans un gym huppé... Partout, mêmes autos, mêmes cheveux, mêmes kits Lulu Lemon, mêmes sacs Vuitton, même Botox, mêmes liftings...

Voyez-vous un mélange de Beth Ditto, de Sally Hunter, d'Helen Mirren et de Christina Hendricks? Ou alors voyez-vous Heather Locklear en mille exemplaires, avec version brune ou blonde, au choix (il y a longtemps que le modèle frisé n'est plus disponible)?

Une année, pour le 6 mai, il faudra aussi parler du rôle des régimes et de l'omniprésent discours sur la «santé» et l'anti-obésité, dans la prise de poids.

Il faudra rappeler à quel point les restrictions même les plus banales, «aujourd'hui, pas de dessert» ou «en semaine, salades à midi», encouragent l'excès. Car on ne fait ensuite que rêver de ce qu'on s'interdit pour mieux se jeter sur l'aliment en question quand on se le permet.

Les travaux de la grande spécialiste de la question, la psychologue torontoise Janet Polivy, ont même montré que simplement penser à d'éventuelles restrictions, donc se dire qu'un jour on devra se limiter ou même se priver d'un aliment, provoque l'excès...

Et quand on parle de restriction, on ne parle pas uniquement du régime au pamplemousse ou à la soupe à l'oignon. On parle aussi du discours nutritionniste qui enjoint de manger ceci et pas cela, au nom de la «santé», de la lutte anti-cancer ou anti-obésité et je ne sais quelle autre croisade.

Vivement une journée pas seulement sans régime, mais sans regard moral sur nos assiettes, point. Une journée pour les bons mangeurs. Une journée de la liberté alimentaire.

(1) Sondage Ipsos Reid fait en 2007 pour les Producteurs laitiers du Canada