Je n'ai jamais aimé le personnage. J'ai apprécié sa musique. Dansé sur Billy Jean et Beat It abondamment. Mais même si son moon walk était trop canon et ses vidéoclips spectaculaires, dès que je l'ai connu, j'ai eu une réticence.

On parle de 1982 environ, de la sortie du disque Thriller. C'était l'époque où il portait un seul gant et dansait en faisant des gestes d'une fascinante précision mais parfois aussi d'une choquante grossièreté. La bizarrerie était déjà là. On ne savait pas encore qu'il se ferait charcuter le visage, qu'il deviendrait tranquillement quelqu'un d'autre sous nos yeux, exposant ses névroses par-dessous et par-dessus les tartines de maquillage. Mais il était déjà clair que le génie du spectacle n'était pas bien.Ce que l'on ne savait pas non plus, c'est que plus il se transformerait et plus il s'éloignerait de la normalité qu'il lui restait, lui l'enfant artiste doué, plus il exposerait en son sillage les dérives d'une société où succès et bonheur peuvent, facilement, être diamétralement opposés.

Un psy, que j'ai interviewé un jour sur l'anorexie, m'a expliqué que Jackson souffrait selon lui, entre autres choses, d'une maladie du même ordre que l'obsession de la minceur mais appelée dysmorphophobie. Au lieu de se trouver gros, peu importe son poids, comme le font les personnes souffrant d'anorexie mentale, ceux qui sont atteints de dysmorphophobie se trouvent constamment des défauts corporels et cherchent à les corriger, peu importe le nombre de chirurgies nécessaires. Jackson, dit-on, aurait eu plusieurs interventions.

Aux États-Unis, il est loin d'être le seul à souffrir de ce mal qui se nourrit de l'incroyable force de persuasion et de perversion de l'industrie du divertissement. Sauf que chez lui, cette haine pour sa propre image était particulièrement triste. Elle contenait un élément racial douloureux. Jackson nous donnait l'impression qu'il voulait devenir blanc. Blanc de peau et de traits.

À chaque étape de sa métamorphose qui lui donnait tranquillement de plus en plus l'air caucasien et de moins en moins de traits masculins, on aurait tous dû se poser de sérieuses questions plus larges. Oui, il avait, de toute évidence, ses propres angoisses, ses propres problèmes, ses propres fantômes. Mais n'était-il pas non plus, en même temps, une sorte de version extrême, caricaturale, d'une quête obsessive que l'on voit partout pour un certain modèle américain stéréotypé? Pourquoi se refusait-il autant, lui-même?

OK, on en a parlé un peu. On a fait bien des blagues. On a dit qu'il était bien triste que le gars s'inflige de tels traitements. Mais les États-Unis se sont-ils demandé pourquoi ils créaient des gens aussi mal dans leur peau?

Ou ont-ils regardé ailleurs?

Il faut dire que son évidente incapacité d'être satisfait, d'être heureux avec ce qu'il avait, lui l'homme qui collectionnait les succès planétaires et les records Guinness, était difficile à observer et détourner les yeux était souvent beaucoup moins pénible.

Chaque fois que la vedette réapparaissait en public, de plus en plus transformée physiquement, chaque fois qu'on apprenait que Jackson était en couple avec des femmes qu'il n'avait pas l'air d'aimer pour deux sous, fut-ce Lisa Marie Presley ou Debbie Rowe, chaque fois qu'il se montrait confit dans ses problèmes, ses dépendances, on avait envie de s'intéresser soudainement à autre chose.

Quand il a été accusé de pédophilie, personne ne s'est montré surpris. On s'y attendait presque. Et quand il a suspendu de façon totalement irresponsable un de ses enfants au-dessus du vide, à l'extérieur d'un hôtel de Berlin, pour le montrer à ses fans, c'est vers le ciel qu'on a levé les yeux, avec une petite pensée pour ces bambins nés d'un père trop étrange.

Au moment d'écrire ces lignes, on ne sait pas ce qui a causé l'arrêt cardio-respiratoire de la méga-vedette. On ne sait pas si c'est une surdose de drogue qui en est la raison. Si c'était volontaire.

Est-ce que quelqu'un serait surpris de l'un ou l'autre de ces scénarios?

Je n'ai jamais aimé le personnage. Mais il avait une tristesse, un désespoir qui l'a bien servi comme artiste et le rendait, étrangement et bizarrement touchant.