Je ne suis pas nostalgique de grand-chose.

Mais quand même de petites choses. Comme ces étés où les enfants pouvaient se lever à l'heure qu'ils voulaient.

Des étés sans horaire. De charnus mois collants ou pluvieux qui s'étalaient comme des champs de boutons-d'or, à perte de vue, doux et longs à satiété.

 

De la mi-juin au début de septembre, après la fête du Travail. Du temps en quantité. Vide.

Quand je raconte qu'il fut un temps où les étés s'étiraient ainsi comme des chats qui s'éveillent, mes enfants me regardent comme si je leur parlais d'un univers sans cellulaire.

Hein?

Pas de camp de jour? Vous pouviez vous lever à l'heure que vous vouliez?

Ben oui...

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Dans ma liste des facteurs de culpabilité maternelle, les étés d'aujourd'hui, charpentés comme des circuits informatiques, se classent bien haut.

Quand il faut se lever à telle heure, faire les lunchs, partir à la course pour ne pas arriver en retard au camp de jour et éviter d'avoir à endurer les soupirs exaspérés des moniteurs de 16 ans et quart affectés à la gestion des retardataires, je ne me sens pas en été. Et je n'ai pas l'impression que les enfants sont en vacances.

C'est juillet. Mais on est pressés comme des citrons et stressés comme en novembre. Popsicle fondu et coups de soleil en plus.

Quand j'étais enfant, quelque part entre Mad Men, C.R.A.Z.Y. et La guerre des tuques, ce n'était pas comme ça.

L'été, je partais passer du temps au chalet de ma meilleure amie. Chez ma cousine. Ou alors mes parents louaient un modeste chalet - bonjour les souvenirs de Phentex, d'odeur d'humidité et de vaisselle en Melmac - et on partait tous les enfants, avec ma mère qui apportait son travail avec elle, mon père qui venait le week-end, et une jeune fille. Une cousine. La fille d'amis. Une gardienne qui avait pratiquement notre âge et jouait avec nous plus qu'elle nous disciplinait.

Et là, on ne faisait rien. Ou plutôt, on faisait un tas de choses qui ne servaient officiellement à rien.

Quels enfants connaissent encore ça?

L'été arrive et c'est à peine si l'horaire familial change. Ajoutez un peu de soccer et tout autant sinon plus de travail - car il faut compenser les semaines de pause - et le degré d'exaspération respire à peine de l'absence de rues bloquées par des congères himalayennes.

Les enfants n'ont pas de devoirs et leurs journées sont remplies de piscine et de jeux de balle plutôt que de maths et d'orthographe mais le remplissage du temps est semblable. Aucune pause «niaisage». Aucun moment à se demander quoi faire.

On a beau entendre de tous les côtés les psys - et notre gros bon sens - nous dire qu'il est crucial, durant l'enfance, d'être confronté à rien et donc à la nécessité de s'inventer une vie, dès qu'arrive février, la course aux camps de jour commence. Et tout de suite s'emmêlent d'une part le besoin urgent de savoir où on pourra «caser» nos petits qui ne seront plus à l'école et d'autre part le désir de les occuper le plus intelligemment ou sportivement possible.

Il ne faudrait surtout pas qu'ils s'ennuient.

Et arrive l'été et les voilà partis dans un sous-sol à jouer aux échecs, dans un camp de jour à se baigner dans une piscine aux eaux douteuses, au parc avec 40 autres enfants qui crient et des moniteurs de 17 ans et quart qui ont bien plus envie d'être avec d'autres moniteurs de 17 ans et quart que des préados déchaînés...

Est-ce vraiment ce qu'on veut?

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Le paradoxe, dans tout cela, c'est que les enfants défavorisés, ceux qui ont le plus besoin de stimulation et d'encadrement, ceux qui ont le plus à gagner d'être en présence d'éducateurs qui vont les amener plus loin que leur milieu familial ne peut le faire, sont souvent ceux qui ont le moins accès aux camps de jour.

Et en revanche, les enfants les plus occupés toute l'année durant, ceux qui ont le plus besoin de calmer les machines et d'apprendre à composer avec l'ennui, un apprentissage essentiel qui leur manque souvent, sont ceux qui enfilent les camps et les semaines, sans pouvoir jamais contempler le vide.

Pourtant, il est important, l'ennui. Les psys le disent et cette fois-ci on les croit: il est le point de départ de la débrouillardise et de la créativité. Et comparé à une autre journée hyper organisée à 100 milles à l'heure, l'ennui ne peut qu'être beaucoup moins ennuyeux.