«Je n'en reviens pas que, 21 ans après l'arrêt Morgentaler, il faille encore se battre pour faire respecter le droit à l'avortement. Je n'en reviens pas...»

Au bout du fil, la présidente du Conseil du statut de la femme du Québec, Christiane Pelchat, est furieuse.

«Je ne doute pas de la bonne foi du ministre», répète-t-elle à plusieurs reprises, en parlant d'Yves Bolduc, le ministre de la Santé, qui doit gérer ces jours-ci le fiasco du dossier de l'avortement. «Mais pourquoi, pourquoi nous retrouvons-nous dans cette situation?»

 

Pour ceux qui reviennent de vacances et qui n'ont pas lu leur Presse depuis une semaine, petit résumé de la crise: Québec a décidé de mieux encadrer la pratique médicale privée. Pour cela, il a préparé la loi 34. On y trouve une nouvelle liste d'actes médicaux spécialisés, y compris les avortements, soumis à des normes très strictes qui entrent en vigueur le 30 septembre.

Les quatre cliniques privées et les trois centres de santé des femmes qui pratiquent des avortements au Québec sont soumis à ces normes, qui exigent notamment que les interventions se fassent en bloc opératoire. Pour certaines de ces cliniques, notamment la clinique Morgentaler, en activité depuis 40 ans (sans plaintes sur la qualité des services), une telle transformation serait trop coûteuse.

Les nouvelles normes, donc, pourraient obliger ce type d'établissement à fermer. Cela n'est pas sans importance quand on sait que, en 2006, 28% des avortements, au Québec, ont été pratiqués dans ce type de lieu, donc à l'extérieur des hôpitaux et des CLSC. Dans certaines régions, ce sont les seuls établissements à offrir le service d'interruption volontaire de grossesse (IVG).

Depuis que le dossier a commencé à déraper, le ministre Bolduc dit que ce sont les médecins qui ont demandé que l'avortement soit sur la fameuse liste.

«Faux», a rétorqué le Collège des médecins lundi. «On n'a jamais demandé ça», a-t-il dit, en gros.

En fait, non seulement les médecins ne l'ont jamais demandé, mais ils disent publiquement haut et fort depuis les audiences de la commission parlementaire sur le projet de loi en mai - tout est dans les articles de ma collègue Pascale Breton - que ça n'a pas d'allure d'imposer aux cliniques privées des normes hospitalières pour ce qui touche l'avortement.

Hier, placé devant la réaction des médecins, M. Bolduc a commencé à sembler vouloir reculer, mais il a dit qu'il leur demanderait encore leur avis...

Quelle partie de ce qu'a dit le Collège des médecins peut-il bien ne pas comprendre? «Ce n'est pas la demande (du Collège), que l'interruption volontaire de grossesse figure sur la liste des services pouvant être dispensés dans un centre médical spécialisé...»

Hier, c'est cette clarification des médecins qui a fait bondir la présidente du Conseil du statut de la femme. «Si ce n'est pas à la demande des médecins, c'est à la demande de qui?»

Très bonne question.

Autres questions: qu'en pense Christine St-Pierre, ministre responsable de la Condition féminine, et qu'en pense le premier ministre Jean «cabinet paritaire» Charest? Et encore: est-il normal que, au Québec, on menace l'accès à l'avortement par le truchement de la bureaucratie? Comme si, au lieu de partir en guerre idéologique, on préférait ensevelir tout le monde sous une montagne de normes et de paperasse...

Le pire, rappelle Mme Pelchat, c'est que les centres et cliniques visés n'ont jamais demandé à jouer un rôle aussi central depuis 20 ans dans la pratique des avortements au Québec. Cette réalité s'est organisée parce que le réseau de la santé faisait preuve d'une volonté pour le moins inégale face à cette pratique. On a donc délesté consciemment les IVG vers ces centres. Leur tomber sur la tête aujourd'hui est totalement injuste. Mme Pelchat parle de «misogynie patentée» au ministère de la Santé.

Ces mots sont durs, mais le droit à l'avortement est protégé par la Constitution et défendu par la Cour suprême. Et le ministère de la Santé du Québec, qui a comme responsabilité de garantir l'accès à ce service, le remet en question. C'est grave. La moindre des choses serait que, faute de faire son travail, il cesse de tomber sur la tête de ceux et celles qui le font à sa place.