Essayez de résumer la dernière crise en matière d'avortement à des gens venus d'ailleurs, et ils vous feront répéter huit fois vos explications, incrédules, perplexes, bouche bée.

Essayez. Voici l'absurde dialogue que cela produit:

- Donc, d'abord, les médecins ont dit au ministre que, s'il changeait les normes de pratique des interruptions volontaires de grossesse (IVG) hors hôpital, cela causerait des problèmes.

 

- O.K.

- Puis, le ministre est revenu en disant qu'il allait les changer parce que les médecins le demandaient.

- Ah bon? Pourtant...

- Puis le ministre a été critiqué à cause de cette décision, mais il a répondu que c'était la faute aux médecins, que c'était eux qui avaient demandé que les normes changent.

- ???

- Et les médecins ont donc dit: «Non, on n'a jamais rien demandé. On a dit l'inverse.»

- Quoi?

- Alors le ministre a dit: «Ouais, que faire? Je vais demander leur avis aux médecins!»

- Mais il...

- Et les médecins sont revenus en disant: «Ne changez rien.» Et le ministre a dit: «O.K., on ne change rien», exactement comme le lui avait recommandé le Conseil du statut de la femme, il y a un an...

Évidemment, ce résumé de toute cette affaire est un peu grossier. Il y manque quelques détails. On pourrait préciser, par exemple, que les médecins parlent parfois par la voix du Collège et parfois par celles de leurs fédérations. Mais peu importe. La trame du scénario est intacte. Et avec un peu de travail côté rythme ou écriture, on pourrait lui donner soit des airs d'Ionesco, soit d'un sketch de Marc Labrèche...

Le dossier de l'avortement et de la loi 34 passera donc ainsi à la postérité: un grand virage à 360° qui n'aura mené nulle part, inquiétant tout le monde en chemin, stressant les femmes et exaspérant les cliniciens. Le président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne, a dit hier qu'on en avait quand même profité pour faire avancer les choses. Mais quoi, exactement? Moi, j'y vois un recul. Mais pas celui dont on parle depuis le début de la crise.

L'avortement est en effet un sujet très particulier. Un sujet délicat qui enflamme les discussions et provoque des débats de société épiques dans les pays où il n'y a pas consensus. Aux États-Unis, un de ceux-là, des médecins se font tuer parce qu'ils pratiquent des avortements. On ne fait pas dans la subtilité.

Il est normal, dans ce contexte, que la discussion sur l'avortement tourne autour d'une seule et unique question: doit-il être légal ou pas?

 

Dans l'Ouest canadien aussi, au pays du Reform Party et des conservateurs, la force des mouvements dits «pro-vie» est indéniable. Ce n'est pas la Bible Belt américaine, mais l'activisme oblige les pro-choix à limiter leur réflexion et leurs gestes à une seule chose: protéger le droit de choisir.

En revanche, au Québec, avant ce dernier mélodrame, on en était au point où la solidité du droit à l'IVG, son enracinement profond, nous permettait d'amorcer une certaine réflexion critique sur son utilisation. Ici et là, depuis quelques années, on commençait à entendre des pro-choix s'inquiéter du nombre d'avortements pratiqués au Québec ou alors se demander tout haut s'il ne fallait pas commencer à éduquer les jeunes femmes sur les cicatrices psychologiques qu'ils laissent...

De tels questionnements, très nécessaires, ne peuvent avoir lieu si le droit semble le moindrement menacé. Si la perception de sa solidité est altérée.

Et c'est ce que cette désastreuse tempête dans un verre d'eau a causé.

Et le plus ridicule, c'est qu'il ne semble même pas y avoir d'idéologie ou d'idéologue anti-choix en cause. Juste du cafouillage bureaucratique.

Qui est responsable de ce navrant épisode? J'aimerais bien le savoir.

On a beaucoup rouspété contre le ministre Yves Bolduc depuis que le dossier est en dérapage incontrôlé, et avec raison. C'est lui qui aurait dû saisir rapidement qu'on ne menace pas le droit à l'avortement nonchalamment. C'est lui qui a laissé glisser les choses. Mais est-il réellement le seul responsable? Comment se fait-il que, parmi ses sous-ministres et toute la pléthore de hauts fonctionnaires censés le conseiller, personne n'ait fait 2 " 2 quand, dès le mois de mai, la Fédération des médecins spécialistes tout autant que la Fédération des médecins omnipraticiens ont dénoncé l'inclusion de l'avortement dans les nouvelles normes sur la pratique privée alors qu'ils témoignaient en commission parlementaire? D'où est sortie cet affrontement avec le Collège? Et où était endormi tout le monde, il y a un an, quand le Conseil du statut de la femme a, le premier, sonné l'alarme?

Il y a des jours où la responsabilité ministérielle devrait être un peu plus partagée.

Photo: Archives PC

Dans l'Ouest canadien, la force des mouvements dits «pro-vie» est indéniable. Ce n'est pas la Bible Belt américaine, mais le militantisme oblige les pro-choix à limiter leur réflexion et leurs gestes à une seule chose: protéger le droit de choisir. Ci-dessus, une manifestation contre l'avortement à Ottawa en 2005.