Jeff Rubin n'a pas exactement le profil du militant grano vert du type que l'on rencontre dans les manifestations de Greenpeace ou aux marchés bios parrainés par Équiterre.

Pendant près de 20 ans, il a été économiste en chef à Marchés mondiaux CIBC. Les cravates de banquier, il connaît. Et pour lui, s'il y a un principe crucial pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés, c'est bien la loi du marché, ce qui fait de lui, en théorie à tout le moins, quelqu'un de pas mal plus proche de Milton Friedman que de Steven Guilbault.

Pourtant, savez-vous ce qu'il conseille aux candidats à la mairie montréalaise?

«Il y a deux choses à faire, absolument prioritaires», dit ce Torontois qui vient de publier Why Your World Is About to Get a Whole Lot Smaller, chez Random House. «Il faut investir dans les transports en commun et rezoner la ville pour permettre une plus grande densité urbaine.»

Vous avez bien lu. Investir dans le réseau de bus-train-métro ou toute autre solution qui utilise le moins d'énergie possible pour déplacer beaucoup de gens au travail tous les jours.

Oh, et il faut aussi arrêter de dépenser dans la création de voies de circulation automobile - ponts, échangeurs et compagnie. Et, surtout, cesser de se dire qu'il faut suivre les tendances des dernières décennies et prévoir toujours plus d'autos sur nos grands boulevards et nos voies rapides.

«D'ici 10 ans, il y aura 20% de moins de voitures sur les routes», tranche-t-il sans hésiter.

Pourquoi tout cela?

Selon l'économiste spécialisé en énergie, le prix du pétrole va augmenter et augmenter encore, au point où l'essence deviendra un produit de grand luxe. Peu importe les soubresauts causés par les récessions ponctuelles, la tendance lourde, à long terme, dit-il, est sans équivoque. Les ressources n'étant pas infinies et l'offre étant donc limitée devant une demande toujours en expansion, le prix du pétrole ne pourra que croître et croître encore.

Les prix à trois chiffres d'avant la récession vont revenir sous peu, affirme-t-il. C'est là qu'on s'en va, qu'on le veuille ou non. Et ça va monter encore plus que les prix qui nous ont tous fait disjoncter à l'été 2008.

Résultat: il va falloir commencer à réorganiser les villes en se disant que: a) l'essence va coûter tellement cher que les gens ne voudront ou pourront tout simplement plus prendre leur auto, ce qui va exercer une pression énorme sur les réseaux de transport collectifs. Et b) le transport des biens va coûter tellement cher qu'on va vouloir rapprocher des villes une bonne partie de leur production, que ce soit pour la nourriture ou les autres objets.

Ce qu'il appelle l'«économie barista», celle de la génération café-au-lait, où les villes sont essentiellement consacrées aux idées et aux services, ne pourra plus tenir, dit-il. Il y aura une totale réorganisation urbaine avec beaucoup plus de production concrète. Pensez American Apparel, le fabricant de vêtements en plein centre-ville de Los Angeles... Pensez Seattle, avec ses poules dans les jardins des quartiers résidentiels... Pensez toits verts où l'on cultive des potagers...

«Oui, l'agriculture devrait faire partie des discussions électorales municipales», affirme M. Rubin, qui croit notamment au potentiel des fermes urbaines faites de serres superposées.

Pour comprendre la ville de demain, explique l'économiste, il faut se tourner vers les modèles européens, où l'on a appris à fonctionner avec des prix énergétiques plus élevés que les nôtres depuis toujours, où les réseaux de transports en commun sont généralement beaucoup plus développés et performants qu'en Amérique du Nord. «L'Irlande n'a pas exploité l'éolien parce que tout le monde là-bas est vert. C'est le marché qui l'y a poussée...» Même chose pour l'expertise danoise du côté de la biomasse, née par nécessité, ce pays n'ayant pas d'autres ressources énergétiques naturelles.

Oh, et vous savez ce que M. Rubin voit aussi dans sa boule de cristal?

Parce que faire venir notre ail de Chine et notre raisin du Chili coûtera trop cher, il voit ces terres autour des banlieues actuelles, ces champs le long des routes où s'entassent tous les VUS de ceux qui font la routine boulot-bouchon, eh bien il voit tout plein de ces terrains redevenir de grands potagers. Et parfois il y voit une piste cyclable, une piste de ski de fond - sport devenu moyen de transport - et des rails de trains ultralégers, ultrarapides, ultraéconomes, qui nous feront découvrir notre monde redevenu tout petit d'une façon totalement nouvelle.