La liste des problèmes que doit régler Montréal est longue et ardue. En attendant, pourquoi ne pas commencer par de petites choses qui peuvent, elles, commencer illico à changer le visage de la ville? La chroniqueuse Marie-Claude Lortie est allée rencontrer plusieurs Montréalais amoureux de la métropole. Voici le chef Normand Laprise et ses souhaits pour la cité.

Quand Normand Laprise, le célèbre chef du restaurant Toqué!, parle de ses fournisseurs de fruits, de viande, de légumes, il les appelle par leur nom, souvent même leur prénom. Ce ne sont pas des entreprises, ce sont des individus, des hommes et des femmes avec qui il travaille généralement depuis longtemps. Il connaît leurs fermes, leurs arbres, leurs potagers. Et il achète leurs produits directement, histoire de limiter les intermédiaires et de pouvoir payer aux producteurs un prix décent pour leur travail sans pour autant vider sa caisse.

 

Si Normand Laprise pouvait changer une chose à Montréal, pour rendre la ville plus gourmande, plus savoureuse, plus vraie, il aménagerait des marchés fermiers protégés pour ce type de producteurs, afin que les consommateurs aient aussi accès à ces réels produits régionaux d'exception.

«Je verrais quelque chose comme le marché d'Union Square à New York», explique M. Laprise, qui y allait régulièrement quand, il y a plusieurs années, il a tenté une aventure de restauration new-yorkaise.

Pourtant, direz-vous, il y a déjà actuellement toutes sortes de marchés à Montréal. Il y a Jean-Talon, Atwater, Lachine, Maisonneuve... Il y a même aux carrefours des étals où l'on trouve fruits, légumes et fleurs...

Tout ça, toutefois, n'a rien à voir avec de vrais marchés fermiers, explique le chef, car il n'y a pas de règles strictes sur la provenance des produits.

Entre deux agriculteurs venus vendre leur maïs ou leurs pommes aux Montréalais se faufilent toutes sortes de revendeurs qui ne sont pas allés au champ depuis bien longtemps et qui sont plutôt allés chercher leurs tomates ou leurs concombres chez des grossistes. Souvent, leurs fruits et légumes viennent exactement des mêmes fournisseurs que ceux des supermarchés et autres détaillants. Seuls les emballages changent. On met le tout dans des paniers pour donner aux produits des airs rustiques. Mais c'est de la frime.

Ne trouvez-vous pas étrange, d'ailleurs, qu'on trouve sur les étals des maraîchers de ces marchés des bananes, des avocats, des mangues? Pensez-vous que tout cela pousse à Saint-Esprit ou à Oka?

Sans interdire quoi que ce soit à quiconque et sans empêcher les marchés actuels d'exister, note le chef, on pourrait créer d'autres lieux, réservés cette fois aux producteurs, avec des règles strictes comme à New York, afin que les consommateurs sachent exactement ce qu'ils vont chercher. «Ce qu'il faudrait, c'est ramener les vrais producteurs en ville et leur donner la chance d'offrir leurs produits, sans intermédiaire, à leurs prix.»

Car un des problèmes avec le système actuel, c'est que revendeurs et producteurs se côtoient et donc que les légumes issus de fermes industrielles, voire importés, et souvent bon marché font directement concurrence aux légumes régionaux cultivés de façon généralement assez artisanale.

Si, en plein milieu du marché Jean-Talon, comme ça s'est vu, une simple tête d'ail frais du Québec se retrouve à côté de tout un sac d'ail chinois qui coûte trois fois moins cher, que choisira le consommateur? Y aura-t-il quelqu'un pour lui expliquer la différence entre les deux produits, lui dire pourquoi l'aliment québécois coûte plus cher et lui démontrer que, en fait, les deux ails ne peuvent être comparés? La cohabitation tord le marché.

À New York, l'organisme qui chapeaute les marchés fermiers, Greenmarket, est très strict. Seuls les producteurs eux-mêmes peuvent vendre leurs propres aliments dans les 45 marchés fermiers de Manhattan, du Bronx, de Brooklyn, du Queens et de Staten Island. Il faut qu'ils aient cultivé, élevé, cuisiné, préparé eux-mêmes ce qu'ils vendent. L'an dernier, un producteur de saucisse et de bacon a vu son permis révoqué. Il se vendait trop de viande, sur trop de marchés fermiers, a constaté Greenmarket, pour que tout cela provienne de la ferme du participant.

En réglementant ainsi l'approvisionnement, on s'assure que les produits offerts dans ces marchés peuvent se faire une concurrence sensée.

Alors où les installerait-on, ces nouveaux marchés à la new-yorkaise, chef?

«Là où on pourrait en profiter pour enlever du béton. Il y a trop de béton, en ville», lance Laprise. Il rêve d'ailleurs d'une métropole couverte de toits verts, qui encourage le retour des potagers dans la cité. Et le chef, de plus, ne voit pas pourquoi les citoyens ne retrouveraient pas le droit d'élever quelques poules en ville, comme on le fait déjà à Seattle, à Vancouver et dans des dizaines d'autres villes nord-américaines.

«La nature n'est pas loin de la ville, rappelle-t-il. Elle est déjà là. Sais-tu que je suis déjà allé à la cueillette aux morilles à Laval, près du Cosmodôme?»