Avez-vous entendu, au printemps dernier, l'entrevue extrêmement touchante que Julie Snyder a accordée à Christiane Charrette où elle expliquait pourquoi elle avait décidé de prendre la défense des couples infertiles?

Moi je me rappelle l'avoir écoutée, car cela m'avait clouée à mon fauteuil dans ma voiture, garée à un carrefour glauque. J'avais été secouée par cette femme toujours forte et parfaite et prête à remuer mer et monde et qui était là, soudainement, prise d'un sanglot immense en parlant de son parcours pour avoir un enfant.

 

Oubliez le glamour de Star Académie, les millions de son conjoint, sa carrière internationale. Oubliez tous les succès de l'animatrice adorée des Québécois. Parlait à la radio une femme qui avait eu beaucoup de difficulté à tomber enceinte et se confiait en perdant ses filtres...

«Ça doit être mes hormones», a dit Julie comme s'il fallait qu'elle se fasse pardonner.

C'est à Julie que j'ai pensé en lisant la série de ma collègue Isabelle Hachey publiée ce week-end dans La Presse et qui demandait pourquoi tous ces Québécois recommencent à avoir des enfants après le creux des années 70, 80, 90...

J'ai pensé à elle, car si vous voulez savoir pourquoi on fait des enfants, allez voir des couples qui en veulent et n'arrivent pas à en avoir.

Allez les entendre hurler ou chuchoter leur désespoir, écoutez-les vous raconter les mille tortures physiques et émotionnelles qu'ils ont subies pour atteindre leur objectif ou se heurter à un mur. Écoutez ceux qui sont passés par les cliniques. Et ceux qui n'ont pas eu les moyens d'aller voir les spécialistes et ont essayé autant comme autant avec les moyens du bord.

Là, en quelques secondes, vous comprendrez que ce désir est totalement irrationnel et totalement transformateur. D'une colombe, il fait une lionne.

Oubliez toutes les bêtises qui ont été écrites ces dernières années pour dire que les femmes voulaient des enfants, car c'est actuellement à la mode parmi les stars ou leurs voisines. Oubliez la pression sociale, oubliez la tradition, oubliez même le supposé trop-plein d'amour à donner... Vouloir un enfant est un besoin inexplicable qui ressemble au besoin de l'humanité d'aller sur la Lune. Pourquoi? Parce que c'est là, puissant et incontournable.

OK, certains ne l'ont pas. Soit.

Mais pour les autres, la très vaste majorité que sont les autres, vouloir un enfant, c'est vouloir être.

Le problème qui a assommé les pays développés durant les années suivant le baby-boom, ce n'est pas tant une diminution de ce désir d'enfant qu'un ajustement laborieux de la société face à la réalité biologique de la procréation.

Après la Révolution tranquille (et après l'époque Mad Men aux États-Unis), les femmes se sont retrouvées sur le marché du travail, à la recherche du bonheur et de l'accomplissement hors des anciens schèmes - ce qui faisait bien fait l'affaire de la société de consommation... - pendant des années de leur vie autrefois consacrées à la reproduction.

Socialement, professionnellement, économiquement, tout poussait les femmes à travailler et en même temps, tout militait contre la conciliation travail-bébé. On commence à peine à s'en sortir et à trouver des voies sensées pour ajuster la société à la biologie et permettre ce nouveau mini-baby-boom.

Mais l'ajustement biologique doit aussi être considéré. En matière de fertilité, les courbes étant claires et le temps jouant surtout contre les femmes, le report des grossesses à plus tard amené par l'intégration des femmes sur le marché du travail a ouvert tout un autre front: celui de la recherche de solutions médicales - l'aide à la procréation - à de nouvelles réalités sociales.

En ouvrant la porte à une couverture par l'assurance-maladie à certains traitements contre l'infertilité, le gouvernement du Québec a décidé de faire un pas pour aider la biologie à s'ajuster à la société de la même façon qu'il encourage la société à s'ajuster à la biologie, avec ses programmes de garderies à 7$ et ses congés de maternité.

La couverture des traitements in vitro, notamment, est un pas intéressant. Le changement à la loi a été annoncé au printemps et actuellement, on attend le rapport de la Commission d'éthique de la science et de la technologie du Québec pour en établir la réglementation. Mais dans la mesure où tout cela est encadré rigoureusement, le financement de ce programme est logique. Il participe à notre ajustement collectif à la réalité actuelle.

En revanche, doit-on compter uniquement sur la science médicale pour venir répondre, in extremis, à ce désir d'avoir un enfant?

Ou n'y a-t-il pas encore d'importants changements de mentalité à opérer, dans les entreprises pour commencer, mais dans l'organisation entière de la société, pour qu'il soit encore plus réaliste d'avoir des enfants sans que cela ne relève du funambulisme ou d'un aller simple vers la pauvreté?

Car ici, grâce à nos programmes sociaux efficaces - notamment le programme de garderies - on a réussi à faire de grands pas pour dissocier maternité et pauvreté, mais aux États-Unis, une étude publiée la semaine dernière dans le Washington Post montrait qu'avoir des enfants oblige bien des femmes peu éduquées à rester à la maison et donc à se priver de revenus importants pour leur famille.

Dieu merci, au Québec ces scénarios sont de moins en moins présents.

Est-ce parce qu'on a compris qu'avoir un enfant ce n'est pas un luxe ni un style de vie. C'est exister, tout simplement?