On n'est pas supposé parler de poids cette semaine.

Pas de «coudonc, t'as l'air bien, as-tu maigri?»

Pas non plus de «tu sais la fille, là, un peu grassette...»

Pas de «faudrait que j'aille au gym» en se regardant dans le miroir, pas fier d'avoir encore à changer de trou de ceinture. Pas de «je fais attention». Pas de...

Pas de toutes ces choses qu'on dit à longueur de semaine et qui font allusion à la taille et à la grosseur et à la perte de poids, que ce soit pour décrire les gens ou parler de tout et de rien. Mais surtout de tout.

C'est le «No Fat Talk Week», la semaine où on ne parle pas de poids, un événement organisé par des groupes américains, notamment Reflections et Delta Delta Delta, organismes qui en ont marre qu'on passe notre temps à discuter kilos et à conditionner les filles (et de plus en plus les garçons) à se préoccuper de poids.

Inutile comme événement? Patente superflue?

Même lorsqu'on parle de kilos positivement, «wow, tu es mince» ou «vive le poids santé» (message répandu, s'il en est un), on parle de taille. On dit que ça compte, que ça pèse dans la balance, que le poids dit quelque chose sur ce qu'on est, sur qui on est.

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La ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, en a apparemment elle aussi un peu marre de notre obsession pour le poids, mais surtout pour la quête d'une sorte d'objectif uniforme: l'image de minceur idéalisée par la pub, la mode, le cinéma... Elle a donc mis sur pied au début de l'année un groupe de réflexion sur la question formé de spécialistes des troubles alimentaires, de gens de la mode et des médias et autres spécialistes en santé publique. Leurs travaux se sont conclus la semaine dernière par la signature de la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, un document qui n'a pas causé d'éclat car il a été, en général, bien reçu.

Ce document ne rend rien obligatoire pour personne et si les designers Philippe Dubuc ou Denis Gagnon décidaient demain matin de n'embaucher que de maigrissimes mannequins de 14 ans pour leurs défilés, ils pourraient toujours le faire. Idem pour les vendeurs de jeans et leurs pubs avec modèles aux allures prépubères.

Mais cette charte, qui enjoint autant aux publicitaires qu'aux médias et aux gens de mode de diversifier les images corporelles véhiculées dans la société, est un premier pas important, car elle reconnaît officiellement l'impact de ces images sur la vision qu'ont les Québécoises d'elles-mêmes.

Longtemps, on a nié cette influence, en disant que «l'anorexie n'a rien à avoir avec la pub ou les magazines» et en rejetant toute responsabilité d'un revers de main. «Si les images de mannequins causaient l'anorexie, on serait toutes atteintes», m'a déjà lancé une styliste ne souffrant de toute évidence pas du problème.

En fait, on avait tout faux, car pendant ce temps, ce que les images d'extrême minceur causaient, c'était l'inverse de ce qu'on anticipait. C'était une quête de minceur aboutissant non pas sur la maigreur, mais sur des problèmes du comportement alimentaires de type boulimique et socialement invisibles (une personne atteinte de boulimie peut avoir n'importe quel poids) ou alors hyperphagiques, le problème derrière une bonne partie des cas d'obésité.

Parlez-en à toutes les personnes qui ont grossi à force de faire des régimes amaigrissants, pour ensuite craquer, se ruer sur la nourriture, et recommencer à zéro, ajoutant à chaque étape quelques centimètres à leur tour de taille.

Le travail accompli par le groupe de travail, coprésidé par la journaliste Esther Bégin et le psychologue Howard Steiger, épaulé par tout un comité comprenant notamment des designers et des gens d'agences de mannequins, est donc important.

Mais il faut aller plus loin. Il faut, comme consommateur soucieux de la santé physique et mentale de nos filles et de nos garçons (car j'insiste, le problème touche de plus en plus les garçons, et c'est troublant), exiger de nos magazines, de nos annonceurs, des réalisateurs de cinéma, de clips, de télé, qu'ils affichent des gens de toutes les tailles. Car entendons-nous, et la charte le dit bien, ce qu'il faut chercher, ce n'est pas la non-minceur, c'est la diversité. La diversité de taille, de couleur de cheveux, de largeur de bouche, de longueur de nez.

La diversité, c'est ce qu'on veut.

C'est elle qui nous guérira de la tyrannie des modèles actuels autant que des sermons creux sur le «poids santé». Et c'est elle seulement, quand elle sera atteinte, qui rendra superflues les semaines du «No Fat Talk».