Si vous aviez envie d'aller vous faire dorloter chez Derrière les fagots, à Sainte-Rose à Laval, une des bonnes tables de la ceinture nord, ravalez votre projet. Le restaurant est fermé. Allez voir sur le site web. Fermé. Fini. Final.

Un petit arrêt à la Brasserie Brunoise avant un match au Centre Bell? Oubliez ça. Au lieu du chaleureux restaurant au menu inspiré des brasseries françaises, vous tomberez sur une succursale du Peel Pub. Pas exactement le même résultat dans l'assiette. La Brasserie Brunoise a été vendue. Les associés sont partis chacun de leur côté. Version Laurent Godbout? Lui aussi a laissé sa place à un autre resto, tout comme Aszu, un autre du Vieux-Montréal dont le message téléphonique nous explique que l'établissement est fermé pour un moment, le temps de rouvrir avec une nouvelle administration. Shed Café? Hier, on n'y répondait pas... Duel? Jamais rouvert depuis l'incendie.

En ce moment, à Montréal, l'humeur n'est pas à la joie dans le monde de la restauration. Certains établissements restent ouverts, mais sont obligés de se mettre sous la protection de la loi sur les faillites. La liste des fermetures, toujours normale à ce temps-ci de l'année, s'allonge plus que d'habitude. La récession fait mal. Là, on dirait qu'on commence à réellement accuser les coups.

Et les rumeurs de fermeture éclaboussent toutes sortes d'institutions.

La semaine dernière, par exemple, j'ai dû rassurer sur Twitter certains lecteurs qui avaient entendu dire que rien de moins que le Pied de cochon allait fermer, une des tables pourtant les plus occupées de la métropole. Non, m'a assuré Gaëlle Cerf, la gérante du resto de l'avenue Duluth. «Les rumeurs ont commencé à circuler parce qu'on s'est demandé s'il ne faudrait pas fermer temporairement cet hiver, pendant les rénovations.» Car non seulement le restaurant ne ferme pas, il s'ajoute un étage.

Mais la nervosité du marché est indéniable. Il y a 10 jours, pour rigoler, le Toqué! a diffusé un communiqué de presse dans lequel il annonçait qu'il fermait... pour un soir, histoire de permettre à Normand Laprise et à sa brigade de faire le repas de clôture d'une grande activité de charité pour super amateurs de grands crus: Montréal Passion Vin.

Qu'on ait eu l'idée de retourner le concept en blague en dit long sur ce nuage qui pèse lourd.

«Ce serait mentir que de dire que tout est parfait», m'a d'ailleurs confié hier Christine Lamarche, l'associée de Laprise au Toqué!. «Disons qu'on a de la chance d'avoir 16 ans de succès derrière nous. On ne pourra pas endurer cette morosité encore deux ou trois ans.»

Pourtant, elle a ajouté du même souffle que le restaurant réfléchit actuellement à des façons de se transformer au gré de ce marché qui change. Où le vin au verre remplace de plus en plus les bouteilles entières. Où les concurrents, eux, ne mettent pas des nappes blanches qui coûtent 4$ à laver, chacune, à chaque service...

Selon Mme Lamarche, il serait fou d'uniquement attendre la fin de la récession. «Il faut aussi s'adapter.»

Les marges de profit dans le milieu de la restauration sont très basses. La gestion des projets doit être très serrée. C'est pourquoi certains restaurants montréalais ferment, sans que, vu de l'extérieur, on ne comprenne trop pourquoi. C'est le cas, à mon avis, de la Brasserie Brunoise, un restaurant du centre-ville que j'ai toujours vu archi-plein. «Parce que vous veniez le midi. Ou alors les soirs de spectacles ou de matchs au Centre Bell», m'a répondu, et il avait raison, le chef Michel Ross, un des trois associés qui a choisi de vendre le fonds de commerce.

«Ce n'était pas assez constant, a-t-il ajouté. Ça allait bien, mais pas assez bien.»

Ross a maintenant un autre petit resto, Mas, à Verdun. Il s'y est installé avec sa femme et y prépare la cuisine à la fois très fine et très simple qui a façonné le succès du premier Brunoise, rue Saint-André, un autre établissement qui a fermé alors qu'il était encore populaire.

Un des plus enthousiastes, en ce moment, est Laurent Godbout, chef propriétaire de L'Épicier, qui vient d'ouvrir un nouveau resto à Granby, Archibald, et dont La Fabrique, rue Saint-Denis, marche bien. Son restaurant Duel? «Il rouvrira mi-décembre sous le nom de Biron», du nom de l'associé de M. Godbout, David Biron. Version? Il l'a vendu pour dégager de l'argent afin de pouvoir acheter l'immeuble où est installé L'Épicier et sauver ainsi le restaurant qui aurait dû fermer sinon. «Je touche du bois, mais nos concepts marchent. Je ne la sens pas, la crise», affirme-t-il.

Selon M. Godbout, le marché n'est pas en train de tomber, il est en train de changer et il faut suivre les consommateurs là où ils veulent aller, soit vers la convivialité, la simplicité mais aussi une certaine flexibilité. Dans son nouveau resto de Granby, Godbout offre à la fois de la pizza pas chère et du jarret de veau braisé pendant 14 heures. Selon lui, il faut ouvrir les portes à tout le monde. Et c'est ça qui fonctionne en ce moment.

«Je suis peut-être chanceux, mais ça roule. Je vous le dis, si j'avais le personnel pour le faire, j'en ouvrirais d'autres, des restaurants.»