Quand je vais relire cette anecdote, dans 10 ans, je vais probablement être abasourdie par mon irresponsabilité comme on l'est quand on pense qu'il y a 40 ans on laissait les enfants se balader en voiture sans ceinture, sur les genoux de maman sur la banquette avant, les fenêtres fermées et l'habitacle plein de fumée.

J'étais donc, hier, au volant de ma voiture quand mon cellulaire a sonné. Et là, comme j'attendais plusieurs appels pour le travail, j'ai répondu.

 

Je n'en suis pas exactement fière. Surtout que, devinez qui était au bout du fil: la porte-parole de la Sûreté du Québec, sergent Manon Gaignard, qui me téléphonait pour parler de... sécurité routière.

Je lui ai proposé de la rappeler plus tard mais comme elle devait quitter le bureau, j'ai dû garer ma voiture, trouver une feuille et un crayon et faire l'entrevue sur le bord d'une rue. Au milieu de nulle part. Devant un panneau «Interdit de stationner».

Pendant que je parlais, j'ai dû voir huit conducteurs passer, le téléphone à la main. Étonnée? Pas du tout. Je n'arrête pas d'apercevoir des gens parlant dans un cellulaire à leur oreille pendant qu'ils tiennent leur volant de l'autre main. J'en surprends partout, tout le temps.

Au point où je me demande si le changement de loi interdisant cette pratique a transformé grand-chose dans le comportement des accros comme moi. Entre deux rendez-vous, trois téléphones cruciaux pour le travail, le covoiturage des écoliers à coordonner et mille responsabilités ménagères à remplir, les automobilistes continuent d'avoir beaucoup de difficulté à accepter que tout ce temps libre passé devant le volant doive demeurer totalement creux, sans communication. Quand ils ne parlent pas au téléphone, ils textent, ils «twittent», ils surfent.

Même les adeptes du mains-libres profitent des feux rouges pour googler à la recherche d'une adresse ou pour chercher sur leur application GPS le chemin à prendre. Et les mains-libres sont-ils réellement plus sécuritaires? Plusieurs études se le demandent. Car encore faut-il répondre au téléphone, composer les numéros et suivre la conversation avec un interlocuteur incapable de s'ajuster aux circonstances, contrairement à ceux qui sont dans la voiture.

Le terminal téléphonique dans l'automobile est une source constante de distraction. Et son utilisation, avec tous les dangers que cela comporte, est un problème dont les conducteurs commencent à peine à se préoccuper.

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Dans le rapport De Koninck sur la sécurité routière remis hier à la ministre des Transports, ce sont surtout les dispositifs sur l'alcool au volant qui ont fait beaucoup réagir. On le comprend. Ce n'est pas rien cette idée de commencer à baisser la limite d'alcoolémie tolérée de 0,08% à 0,05% avec l'aide d'une nouvelle suspension de permis de conduire temporaire et sans amende ou point d'inaptitude. Sauf que l'alcool fait déjà l'objet de multiples campagnes de communication. On n'est plus dans l'information ni l'avertissement. On est plus loin dans le processus. Dans le peaufinage. L'amélioration. La population sait qu'elle ne devrait pas conduire après avoir bu. Ceux qui le font ne sont pas ignorants de la loi mais plutôt amateurs de gestion de risque extrême et irresponsable.

La vraie question nouvelle du moment, en sécurité routière, est selon moi ailleurs et touche toutes les populations, pas juste les alcooliques et les ados qui se croient immortels.

Et ce problème, c'est le cellulaire au volant.

Un problème dont on parle relativement peu même s'il a causé, par exemple, 955 accidents mortels aux États-Unis en 2002 - les données sur le problème sont rares - et est fréquent partout, dans toutes les classes de population, pères de famille et femmes d'affaires ultra-occupées inclus.

Et un problème qui refuse, on dirait, de devenir socialement inacceptable. Sinon, pourquoi verrait-on autant de gens se moquant de l'interdiction du combiné au volant? Récemment, même l'épouse du gouverneur de la Californie, l'ancienne journaliste Maria Shriver, a été prise en flagrant délit de conversation téléphonique alors qu'elle conduisait. C'est tout dire.

Avec la transgression de la loi sur le cellulaire, on n'est pas dans le domaine de la gestion de risque comme avec les lois sur la conduite en état d'ébriété. Avec les portables au volant, on est dans le déni.

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La Table québécoise de la sécurité routière de M. De Koninck s'est elle aussi inquiétée du phénomène du téléphone mobile. Sauf que voilà la recommandation: «Mettre sur pied une série d'actions visant à réduire l'utilisation du cellulaire au volant.» Dans le jargon bureaucratique de ce type de commission, j'imagine ou du moins j'espère que ça se veut musclé comme requête.

Car on aurait tous bien besoin d'une campagne costaude combinant information et répression.

Sortez les crash test dummies, ou si vous préférez, en français, les «dispositifs anthropomorphes d'essai» et montrez-nous comme il est dangereux de parler au téléphone au volant et comme c'est irresponsable.

Et donnez des tickets, en blitz. À 115$ tout compris, la contravention fait mal. Depuis l'entrée en vigueur de l'interdiction le 1er avril 2008, 11 000 constats d'infraction ont été rédigés. Est-ce assez quand on sait qu'il y a au Québec 5,6 millions de voitures en circulation?

Il y a, je crois, des tickets qui se perdent. Et pas juste ceux que moi j'aurais probablement dû recevoir.

«Pensez-y, m'a demandé Manon Gaignard. Qu'est-ce qui est pire, une contravention et donc une bonne leçon de sécurité routière ou une collision?»

On sait tous ce qui coûte le plus cher.