«J'ai demandé à ce peintre aux pieds nus

pourquoi il peint toujours ces arbres croulant

sous les fruits lourds et juteux

alors que tout est désolation autour de lui.

 

Justement, me fait-il avec un triste sourire,

Qui veut accrocher dans son salon

Ce qu'il peut voir par la fenêtre?»

Dany Laferrière

L'énigme du retour

J'ai couvert mon premier et seul tremblement de terre, en 1989, dans la région de San Francisco. Plusieurs autoroutes suspendues et un pont avaient été endommagés par le séisme. Nul besoin de vous dire que ce ne sont pas les quartiers les plus riches qui se trouvent sous ces voies rapides. Si bien qu'en me baladant autour des décombres, un jour, quand j'ai demandé à une dame du quartier assise sur son perron si la maison voisine était tombée en même temps que l'autoroute, elle m'a répondu en riant: «Oh non, ici, on n'a pas attendu le tremblement de terre pour être dans cet état. Cette maison s'était écroulée bien avant.»

C'est à cette scène que j'ai tout de suite pensé en apprenant hier qu'une autre tragédie venait de s'abattre sur Haïti.

Une horreur empilée sur une autre.

Après les ouragans, le chaos politique, voilà que les plaques tectoniques ont décidé de s'en mêler. Un coup de poignard venu de la Terre.

À la misère déjà omniprésente dans ce pauvrissime pays d'Amérique, vont maintenant s'ajouter les mille et une cicatrices d'une catastrophe naturelle d'une cruauté infinie.

Le Palais national? Un hôpital de Pétionville? Tous atteints? Pourtant, ce sont des constructions «solides», du roc comparé aux bidonvilles, comparé à ces maisons empilées à flanc de coteau qui ont glissé dans les ravins comme du beurre dans la poêle, comparé aux demeures réduites en miettes le long de venelles de terre, bric-à-brac anéanti par un croche-pied monstrueux.

Un tremblement de terre en Haïti?

Même pas deux ans après les ouragans de 2008? Et Jeanne en 2004?

Haïti?

Le pays qui souffre plus que tous les autres dans cet hémisphère; celui où le revenu moyen est de moins de 2$ par jour; le pays sans forêt; où flirtent sans cesse le chaos politique, la faim, ce bout des Antilles qu'Al Gore montre en contre-exemple environnemental, nation meurtrie par les dictatures.

Haïti? Les racines de nos amis, de nos frères, de nos collègues, de nos proches...

Plutôt que d'aller dans un café haïtien ou au bas de ma rue, au stand de taxi, parler à des Montréalais d'origine haïtienne, je suis restée scotchée, hypnotisée par mon ordinateur hier, figée, pris de frissons devant les images et les bouts de textes arrivant de partout, inondant les différents sites de réseaux sociaux qui nous branchent en direct sur les témoins des catastrophes. «Tel hôtel vient de tomber.» «Les gens prient.» «Les gens prient vraiment très fort.»

Sur certains sites de nouvelles, on pouvait aussi voir la télé haïtienne hurlant en créole et en français des bribes d'informations. J'ai entendu un animateur essayant d'interviewer une femme. «Inconsolable», disait le journaliste. «Inconsolable.» J'ai compris que l'entrevue n'aurait jamais lieu. En arrière-plan, pendant ce temps, défilaient des images infernales de ruines.

Haïti n'avait pas besoin d'une autre catastrophe. L'acharnement de la nature y pousse l'humanité dans des recoins dont il est difficile d'imaginer qu'il fallait vraiment, absolument, les explorer.

En attendant, reste à offrir toutes nos condoléances à ceux qui ont perdu les leurs.

Et reste à aider, en envoyant notamment de l'argent aux organismes humanitaires qui, une fois de plus, iront sur place tenter de faire l'infaisable: réparer cette victime parmi les victimes de la nature et de son insondable barbarie.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca