J'étais dans ma voiture, arrêtée à un feu rouge, la semaine dernière, quand j'ai vu le conducteur de la voiture devant moi ouvrir sa porte et jeter dans la rue une bouteille de plastique vide.

Choquée, j'ai eu envie de sortir lui faire la leçon. Puis, comme il faisait à peu près moins mille dehors, m'est venu à l'esprit une seconde idée dont je ne suis pas exactement fière aujourd'hui, quand j'y repense: prendre son numéro de plaque minéralogique en note et annoncer grâce à mon téléphone, sur Twitter, illico, que le conducteur de ce véhicule jette des bouteilles de plastique vides dans la rue.

 

Je n'ai cependant rien fait. Et pas uniquement parce que le feu venait de tourner au vert.

Je n'ai rien fait, parce que même si je suis journaliste et donc programmée à vouloir tout écrire, je suis aussi programmée à me demander si tout est publiable ? Or, entre la vie privée d'un citoyen inconnu et ma colère de le voir polluer, je me suis répondue un retentissant : « Deuh ! «

Si j'avais reconnu un militant écolo ou une autre personnalité publique, j'aurais peut-être réagi autrement. J'aurais même probablement - il le faut appelé la personne avant de publier quoi que ce soit.

Être journaliste, c'est ça, entre mille autres choses. C'est avoir toutes sortes de réflexes et de réflexions, qui font qu'on raconte publiquement certaines choses et d'autres pas. Car il y a, dans la vie, des histoires d'intérêt public et d'autres qui sont du domaine privé.

Et le privé, il faut y faire attention. On dit que ce sera une des choses les plus prisées de la prochaine décennie.

Les blogueurs et utilisateurs des nouveaux médias détestent quand on explique ce genre de choses, car ils ont l'impression que les journalistes leur font la morale. L'impression qu'ils les regardent de haut. Ils croient (et nous accusent) de vouloir uniquement protéger nos jobs.

Je connais le refrain, je me le suis répété à bien des occasions, il y a 25 ans. À l'époque, ce n'était pas les blogueurs et les facebookiens qui critiquaient les journalistes, c'était les non-syndiqués. « Vous êtes assis sur vos jobs, vous les protégez à tout prix «, qu'on disait. Jusqu'à ce qu'on finisse par comprendre que tout n'est pas blanc ou noir et à quel point les syndicats peuvent jouer un rôle important pour la qualité de l'information, notamment pour la protection de l'indépendance des reporters et des commentateurs.

Aujourd'hui, le débat prend une autre forme, mais c'est encore un sentiment de non-appartenance qui refait surface.

Cette fois, ce qui est en jeu, c'est ce qui fait la différence entre les journalistes et tous les autres, aux degrés de talents fort divers, qui écrivent sur le web.

Cette longueur d'avance qu'ont les journalistes professionnels dans la réflexion et la détermination de ce qui est publiable ou pas devrait être au centre des discussions sur la blogosphère.

Or, elle ne l'est pas assez.

En fait, ce que le web nous montre chaque jour, c'est que les journalistes se gardent une petite gêne pas mal plus souvent qu'on le croit, et que le véritable oeil omniprésent, le Big Brother qui ne fait plus de différence entre privé et public, qui vient nous scruter dans les détails de nos vies, c'est aussi vous et moi, le public.

Ce sont tous ces gens qui se dévoilent sur Facebook, qui racontent leur vie privée sur Twitter. Ce sont ceux qui racontent avoir vu une vedette sortir d'une clinique de fertilité autant que ceux qui racontent la vie intime de leurs enfants sur les réseaux sociaux.

Faut-il pour autant interdire ces systèmes d'échanges sur le Net ?

Évidemment, non. Il faut juste les voir comme de nouveaux outils à manipuler avec précaution.

Lorsque les réseaux sociaux nous permettent de nous abreuver chaque jour de nouvelles en direct provenant de zones isolées, comme c'est le cas actuellement avec Haïti, ils deviennent des outils de cueillette de données exceptionnels.

On revit, je suis certaine, le thrill de l'invention du téléphone ou du télégraphe.

Mais quand ils nous amènent à nous surexposer et à surexposer les autres, ils peuvent nous mettre dans le pétrin.

Parfois même sans qu'on s'en rende compte.

Parlez-en à Nathalie Blanchard, cette dame exposée auprès de ses assureurs par ses écrits Facebook, et au prochain internaute anonyme qui sera poursuivi pour diffamation.