«Je suis triste parce que mon pays est détruit. Mais maintenant, je suis ici et je dois être assidu à mon travail», explique Didier Louis, sérieux comme un pape. «Je veux devenir un citoyen de valeur. Pour aider Haïti.»

Ce jeune garçon qui parle comme un grand vient tout juste d'arriver au Québec. Il a 13 ans. Ce qu'il appelle son travail consistait jusqu'au 12 janvier à étudier à l'école Saint-Louis-de-Gonzague, à Port-au-Prince, où il poursuivait sa deuxième année de secondaire. La cinquième, comme on dit dans le système français et haïtien.

Sauf que le tremblement de terre a démoli sa classe. Et la quiétude de sa vie antillaise.

Aujourd'hui, un vol militaire et mille déracinements plus loin, il est inscrit au collège Marie-de-France, à Montréal, où il compte terminer son année, peut-être toutes ses études, avant de retourner un jour participer à la reconstruction de son pays.

Il n'est pas orphelin. Son papa est resté travailler à Haïti, et sa maman est venue à Montréal avec lui. Sa soeur étudie ici, à HEC. Et il connaissait le Québec pour y être venu plusieurs fois en vacances, voir de la famille. Mais cette fois, le jeune garçon restera. Pour un moment.

Didier fait partie d'un groupe d'une cinquantaine de jeunes Haïtiens de 5 à 18 ans arrivés depuis deux semaines dans cette école.

Pourquoi tous là?

Parce que Marie-de-France a toutes sortes de liens historiques et scolaires avec Haïti depuis toujours. D'abord, comme le lycée Alexandre-Dumas de Port-au-Prince, d'où arrivent la majorité de ces écoliers, Marie-de-France et le collège Stanislas font partie du grand réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger. Ici ce sont des écoles privées, mais vues de Paris, elles font partie d'une grande chaîne scolaire rattachée au ministère de l'Éducation nationale. Partir d'Alexandre-Dumas et arriver ici à Stan (qui accueille aussi une trentaine de jeunes Haïtiens) ou à Marie-de-France, c'est pratiquement aussi simple que changer d'école à l'intérieur d'une commission scolaire. Mêmes manuels, même programme...

Aussi, de façon générale, «le système scolaire haïtien est très proche du système français, il y a une proximité naturelle», explique Brigitte Peytier, directrice du collège Marie-de-France, une école du quartier Côte-des-Neiges qui compte maintenant 1800 élèves, de la prématernelle au cégep.

Et cette proximité ne date pas d'hier. Déjà, dans les années 60 et 70, alors que les intellectuels haïtiens fuyaient la dictature des Duvalier, les écoles françaises d'ici avaient accueilli en bon nombre leurs filles et leurs fils. (Un exemple parmi plusieurs: la juge Guylaine Beaugé, première Noire à la Cour supérieure du Québec, a étudié à Marie-de-France.)

La cinquantaine de jeunes qui sont arrivés jusqu'à présent ont aussi tous des liens avec le Québec. Plusieurs sont nés ici et étaient retournés en Haïti avec leurs parents. Plusieurs ont la double citoyenneté ou des parents canadiens très proches, d'où l'évacuation rapide. La plupart se sont installés à Montréal chez une grande soeur ou une tante, pas nécessairement avec papa ou maman.

«Une fois leurs enfants bien amarrés et en sécurité, plusieurs parents sont repartis», explique Éléonore Stal, registraire, qui confie recevoir encore beaucoup de demandes, alors que les classes se remplissent.

Pour reprendre les mots d'une maman haïtienne soulagée d'avoir pu mener ses enfants à bon port: d'abord il fallait survivre; maintenant, il faut vivre.

La présence d'un bon groupe ayant partagé la même expérience, dans la même école, rassure ces jeunes. Beaucoup se connaissaient déjà en Haïti. Lorsque je suis allée leur rendre visite, on pouvait constater aisément la camaraderie qui les rassemble. «Je suis vraiment content que mes amis soient ici eux aussi», confie Didier. «Presque tout le monde était déjà au lycée français à Haïti», ajoute Jean-Philippe Malebranche, 16 ans. «Et puis on a été vraiment bien accueillis, ici.»

Anne-Rakel Armand, 16 ans, raconte, comme plusieurs, qu'elle a été évacuée en avion militaire rapidement et a été épatée par son voyage. «Merci au gouvernement canadien, tient-elle à dire. Merci à la Croix-Rouge.»

Des mercis, ces jeunes en ont beaucoup, pour tout le monde.

À l'école, ces élèves issus de toutes sortes de milieux sociaux - l'établissement devra trouver des bourses pour certains - ont été intégrés à presque tous les degrés, de la maternelle à la terminale, l'année du fameux baccalauréat (équivalent de la fin du cégep), que certains jeunes vont devoir passer, malgré le drame venu fracturer cette cruciale année scolaire.

Au primaire, explique Jean-Pierre Giraud, directeur du premier degré, les petits sont encore plutôt silencieux sur ce qui s'est passé, sur leur nouvelle réalité. Ils s'intègrent néanmoins fort bien, assure-t-il. Et ils étaient attendus à bras ouverts, comme si les bambins d'ici avaient compris instinctivement l'ouverture dont ils devaient faire preuve. En fait, ces camarades étaient tellement conscients du drame haïtien que dès les jours suivant le séisme, ils ont organisé une vente de gâteaux pour envoyer de l'argent aux organismes humanitaires oeuvrant dans le pays dévasté. De sablés en quatre-quarts, ils ont récolté plus de 3200$. Avec l'appel à l'aide à tous les parents de l'école et la participation d'un groupe de jeunes qui a donné une somme d'abord amassée et mise de côté pour un voyage, le collège a envoyé plus de 17 000$ à Oxfam et à la Croix-Rouge. Sans compter tous les efforts faits maintenant par l'association des parents, notamment pour récupérer des manuels scolaires et tout le matériel pédagogique nécessaire pour les nouveaux.

«Dans toute l'école, dès le lendemain, il y a eu un mouvement spontané qui disait: Il faut aider», explique Mme Peytier.

Aider en amassant de l'argent. Aider en accueillant tous ces nouveaux jeunes qui sentent encore le tremblement dans leur corps, qui ont beaucoup laissé derrière eux. «Ce qui me manque? Mes amis», admet Sabrina, 18 ans. «C'est comme si on avait terminé nos études trop tôt», ajoute sa camarade Stéphanie, qui est convaincue que le bac se passera bien malgré tout.

Certains ont besoin de soutien psychologique, affirme Mme Peytier, qui a reçu une offre d'aide de la part du CSSS de la Montagne. Cauchemars, indigestions, tremblements... «Certains m'ont confié qu'ils avaient vu des choses qu'ils n'auraient pas dû voir, explique la registraire Éléonore Stal. Qu'ils ont grandi trop vite.»