«J'ai tout perdu, ma maison était complètement sous l'eau, me raconte au bout du fil le chef Donald Link, du restaurant Cochon, à La Nouvelle-Orléans. La seule chose que j'ai réussi à récupérer, c'est ma vieille casserole en fonte. Le métal, au moins, ça résiste à l'eau.»

Link, évidemment, parle de Katrina, le terrible ouragan survenu à la fin de l'été de 2005 qui a dévasté sa ville en provoquant l'inondation de 80% de sa superficie - quand les digues retenant le lac Pontchartrain ont cédé - et forcé le déplacement de 250 000 personnes dans le sud de la Louisiane.

 

Link y a perdu sa maison et son seul restaurant à l'époque, Herbsaint, ne s'en est pas tiré indemne non plus. Le second établissement qu'il était en train de construire à ce moment-là, Cochon, est retombé à la case départ. Bref, l'ouragan a chamboulé sa vie.

Cinq ans plus tard, le chef ne semble pas avoir trop envie de retomber dans les souvenirs affreux de cette catastrophe. Mais il n'hésite pas à parler d'une chose: sa loyauté envers sa ville et son désir d'y rester, malgré les blessures profondes laissées par la catastrophe naturelle.

«Comme chef, je peux aller cuisiner n'importe où, tout le monde a besoin de manger, partout. Mais je reste ici. C'est ma ville. J'y crois.»

Comme restaurateur, dès le lendemain de la catastrophe, malgré l'eau qui couvrait des maisons entières, malgré la boue, malgré les morts et la misère, il s'est senti responsable face à ses proches, face à ses employés et sa communauté. «Et puis je sentais que si je rouvrais mon restaurant le plus vite possible, je lancerais un message: «Si lui peut fonctionner, nous aussi on peut»», explique-t-il.

C'est pourquoi, dès qu'il a pu, en septembre (l'ouragan a eu lieu à la fin d'août), il a trouvé une façon de se rendre à son restaurant malgré toutes les interdictions de circuler dans certaines zones, pour le préparer à la réouverture.

Il a vidé les frigos laissés pleins, sans électricité, alors que la ville devait être évacuée. Il s'est mis à nettoyer, même s'il y avait encore toutes sortes de moratoires sur l'utilisation de l'eau courante.

Puis, dès le 5 octobre, l'établissement était de nouveau en marche, avec une équipe réduite (moins d'une dizaine de personnes alors qu'il y en a normalement une trentaine) mais fonctionnel. «On voulait être la lueur d'espoir», affirme le chef. Le symbole d'un retour possible à la normale.

Link n'a pas chômé ensuite. Dès que possible, il a relancé la construction de Cochon, un restaurant spécialisé en porc - produit typiquement cajun - qui a ouvert le 16 avril 2006, six mois après la catastrophe.

Aujourd'hui, ce restaurant fait partie des incontournables de la grande ville louisianaise. Le chef y fait entrer des porcs entiers qui sont ensuite dépecés et cuisinés de toutes sortes de façons. On y va pour ce que les Louisianais appellent «boudin», une saucisse proche du boudin blanc, faite d'abats de porc et de riz - un peu comme le dirty rice, aussi très typique, aux abats de poulet - ou alors pour les oreilles de cochon frites ou les joues panées. Chez Cochon, on sert en outre les autres spécialités cajuns: des huîtres, du lapin, des navets marinés, des crevettes, du canard dont on fait des gumbos, un ragoût à l'okra, aux poivrons et aux oignons, bien épicé, servi sur du riz. On y mange évidemment en plus la fameuse Mississippi Mud Pie, la tarte au chocolat appelée tarte à la boue...

«C'était important pour moi d'ouvrir un nouveau restaurant, dit le chef. Là encore, je sentais que ça faisait partie des étapes importantes dans la renaissance de la ville. Une nouvelle entreprise. Une nouvelle énergie. Le signe que ça continue.»

La ville, il faut le comprendre, était vraiment en miettes. En miettes humides et collantes et sales et moisies... Et non seulement fallait-il se battre contre l'énormité de la tâche de reconstruction à accomplir, il fallait aussi lutter, et ce n'est pas fini, contre le découragement. «Moi je ne me sentais pas capable de dire: «Je ne crois plus en cette ville.» Je sentais que j'avais une grande responsabilité.»

En fait, dès le retour post-ouragan, explique le chef, il a senti que les restaurants, ces grands établissements nourriciers, lieux de rencontre, de retrouvailles et d'échange, deviendraient des lieux importants dans le processus de réparation de La Nouvelle-Orléans. «Le restaurant, c'était comme notre groupe d'appui à nous. Tant qu'on était au resto, tout était correct. On parlait. On était là les uns pour les autres.»