«Je suis tellement heureux de faire partie de ce mouvement mondial, démarré en Espagne. Tellement chanceux. Ce que nous vivons maintenant est unique...»

Le chef qui parle ainsi, assis au nouveau bar du Toqué!, à Montréal, s'appelle Sergi Arola. Même s'il n'est pas portugais, c'est lui la grande star du festival Montréal en lumière, cette année. Tatouages, manteau de cuir, blue jean... Il a tout du rocker qu'il a presque été et peu du chef classique de resto étoilé. Pourtant, il fait partie de cette génération de chefs espagnols formés dans les cuisines du géant Ferran Adria, qui répandent aujourd'hui les fameuses techniques moléculaires et contribuent à faire de l'Espagne l'épicentre de cette façon moderne de voir la cuisine.

 

Aujourd'hui, à 42 ans, il préfère donner son temps à ses deux filles plutôt qu'aux émissions de télé qui l'ont aidé durant la dernière décennie à construire une image de marque maintenant fortement établie. Il pilote cinq établissements en Espagne, un à São Paolo, au Brésil, un autre à Sintra, près de Lisbonne. C'est cette filière portugaise, d'ailleurs, qui l'a amené en ville pour le festival Montréal en lumière, où l'on célèbre cette année les bonnes tables lusitaniennes.

Arola n'est pas Adria, le très grand chef catalan qui a révolutionné la cuisine depuis 15 ans - le potage aux champignons en cappuccino, c'est lui; la sphérification, c'est lui; les poussières, c'est lui -, mais il est un de ses disciples les plus loquaces et les plus fiers. Est-il ébranlé par la décision de Ferran Adria de fermer son restaurant légendaire, El Bulli? Pas du tout. Selon lui, ce n'est aucunement le signe de l'essoufflement du mouvement moléculaire et donc du règne espagnol sur la créativité à table. «Quelle est la différence entre les Beatles et les Rolling Stones?» demande-t-il avant de répondre lui-même: «Un seul des deux bands est mythique parce qu'il s'est arrêté.»

On n'est jamais loin du rock'n'roll avec ce chef qui écrit une chronique dans la livraison espagnole du magazine Rolling Stone. Il ressemble un peu aussi à l'acteur Javier Bardem. «Javier? Un bon ami à moi.»

 

En faisant une recherche de presse sur le chef Arola, on remarque une chose: il n'a pas la langue dans sa poche. Ici, il défend Adria, accusé par un autre grand chef catalan, Santi Santamaria (président d'honneur du festival en 2003) d'utiliser des méthodes de cuisine à la limite du comestible. Là, il rouspète contre la réglementation gouvernementale espagnole sur la conservation du poisson. Ailleurs, il prend position contre la surpêche et l'exploitation non respectueuse des ressources halieutiques, un dossier qui lui tient à coeur. Dans ses restaurants, il ne sert aucun thon rouge de la Méditerranée, poisson hautement menacé, ni tortue, ni requin, ni baleine ni espadon. Pour le reste des espèces, il choisit avec minutie, varie ses menus pour ne pas toujours offrir la même chose. «Le problème, ce n'est pas de manger du poisson, c'est d'en manger de façon irresponsable.»

Est-il aussi totalement bio, totalement écolo? Le chef n'adhère pas à tout. L'idée de tenter de limiter l'utilisation des techniques de cuisine énergivores (fréquentes dans la cuisine moléculaire) ne lui sourit pas. «Que veulent-ils, qu'on mange tout cru?»

La cuisine sauvage? La cuisine nordique? «Intéressant, dit-il. Mais du Ferran Adria à 95%.»

L'agriculture urbaine lui semble ridicule. «Quoi? Des légumes bio qui poussent au milieu de la pollution des grandes villes? Les meilleurs poulets que j'ai mangés de ma vie, c'était au Burkina Faso, parce qu'ils les laissent manger des insectes et des larves, pas juste du grain. La viande est totalement différente...»

Arola n'arrive pas non plus à comprendre comment le gouvernement de Silvio Berlusconi («une totale blague, ce premier ministre») a bien pu trouver utile d'interdire en Italie toutes sortes de techniques utilisées en cuisine moléculaire, notamment l'azote liquide pour changer les textures. «Ils disent que c'est pour protéger la santé des gens, alors qu'ils veulent ouvrir des centrales nucléaires», lance-t-il, avant d'ajouter: «Je crois que bien des gens n'acceptent tout simplement pas ce qui se passe en Espagne. Il y a de la jalousie. En France, en Italie, ils ne peuvent pas accepter que le leader, en ce moment, c'est l'Espagne.»

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> Rencontré: des producteurs de vin et de porto incroyablement intéressants durant toute la semaine, dont Sandra Tavares, de Wine&Soul, dans le Douro, et le légendaire et coloré Luis Pato, du Bairrada, qui sera au Beaver Club ce soir.

> Goûté (et aimé): les vins de Cristiano Van Zeller, du Douro. Coup de coeur aussi pour un tawny 10 ans de Quinta do Vallado.

> Bonne idée: samedi soir, les deux gars du DNA échangent leurs rôles. Le chef Derek Dammann sera en salle et le maître d'hôtel, Alex Cruz, d'origine portugaise, sera en cuisine.

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Le chef Sergi Arola.