«Keep Austin Weird.» Rebecca Melançon ne se rappelle pas qui a lancé cette phrase pour la première fois. Mais dans la capitale texane, explique la directrice du mouvement pro-achat local IBuyAustin.com, c'est devenu plus qu'un slogan. C'est une philosophie.

Littéralement, cette phrase exhorte la population à préserver le côté bizarre de sa ville. Concrètement, c'est un cri de ralliement pour toute initiative urbaine, comme celle de Mme Melançon, qui peut aider la ville à se démarquer. «Ce qu'on veut créer, préserver, dit-elle, c'est une ville éclectique.»

 

Le cauchemar des pro-weird serait de voir Austin, qui est en explosion démographique, devenir une collection de centres commerciaux excentrés aux allures de carton-pâte où s'alignent des boutiques de grandes chaînes qui pourraient être n'importe où ailleurs. Gap, Nike, Coach, Pottery Barn...

Le rêve (et ça s'en vient) serait un centre-ville rempli de bureaux et de résidences, avec tous les commerces variés nécessaires pour y créer une vie dynamique, réaliste et mélangée: épiceries, clubs de musique comme il y en a des douzaines à Austin, boutiques de vélos ou de meubles ou de vêtements, petits restaurants pas chers, roulottes à tacos allumées... «La clé, c'est l'équilibre», dit Mme Melançon.

Au départ, dans les années 80, la campagne Keep Austin Weird a été lancée de façon impromptue par de petites boutiques indépendantes. C'était une idée plus qu'un mouvement structuré. Puis la phrase a été récupérée par une entreprise qui s'est approprié les droits du slogan pour en faire des t-shirts, casquettes, autocollants et compagnie. Aujourd'hui, c'est un concept embrassé largement par les petits commerces indépendants et des groupes citoyens.

Lorsqu'on marche dans la ville, on voit qu'elle est différente des autres agglomérations américaines de même taille. On ne rencontre pas les sempiternels Banana Republic, Williams et Sonoma et compagnie; en revanche, les projets innovateurs sont nombreux. L'autre matin, par exemple, je suis allée prendre mon petit-déjeuner dans un café, La Boîte, qui est un conteneur converti installé sur un champ de gazon. De là, j'ai marché vers la rue South Congress en traversant un quartier résidentiel rempli de petites maisons anciennes typiques aux couleurs pastel, mais aussi de projets d'architecte hyper-contemporains conçus avec des préoccupations écologiques. Le magazine Dwell, consacré à l'architecture résidentielle contemporaine innovatrice, a déjà réservé un numéro aux innovations d'Austin.

Car au-delà des campagnes des petits marchands, c'est vraiment la différence que réclame Austin, avec son fond hippie éclaté - pensez Janis Joplin, qui a longtemps habité à Austin - et son côté «grano». C'est là en effet qu'est née, en 1984, près de l'université, la première épicerie bio-nature, Whole Foods, devenue depuis un succès énorme partout aux États-Unis et même au Canada et en Grande-Bretagne. En fait, Austin a même une autre chaîne de supermarchés, Central Market, s'adressant tout autant aux mangeurs de fromage de chèvre que de pâtes au pesto bio. Bref, il y a beaucoup de gens, à Austin, qui font tout pour ne pas avoir à faire leur marché aux Safeway, Price Choppers et autres Wal-Mart plantés partout en Amérique.

Et, comme la Californie du Nord, en plus d'être hippie et grano, Austin est aussi high-tech. Dell vient d'Austin, tout comme une foule de petites entreprises en démarrage. Ce n'est pas un hasard si Austin est le grand rendez-vous de South By Southwest (SXSW), un festival de création axé sur le film, la musique et le monde interactif, qui a dû attirer cette année environ 30 000 participants prêts à injecter 100 millions de dollars dans la ville.

SXSW aide à garder la ville weird. Car tous ces gens hyper-créatifs découvrent Austin, voient son climat semblable à celui de la Californie du Sud, constatent ses prix raisonnables... Beaucoup de Californiens viennent s'installer à Austin pour une vie moins folle et moins coûteuse, mais pas nécessairement moins dynamique. Comme l'a dit en conférence à SXSW le chef de la direction de Twitter, Evans Williams: «Souvent, les bonnes idées viennent d'ailleurs que de Silicon Valley.» Parce que la créativité profite des environnements moins saturés, si elle y est encouragée.

Et à Austin, on aime les gens aux idées weird.

«Il y a d'excellents programmes mis en place par la ville pour encourager l'entrepreneuriat indépendant, rappelle MmeMelançon. Mais il y a surtout, à Austin, une culture à part. La culture de l'éclectisme, de la prise de risques, de la différence. Et les citoyens veulent ça et appuient ça.»