Dimanche 10 août, Montréal-Nord s'embrase. Voitures incendiées, commerces pillés. Des émeutiers lancent des projectiles sur les policiers et mettent le feu à des bonbonnes de propane.

Du jamais vu: une immense colère qui explose en plein coeur de Montréal à la suite de la mort de Fredy Villanueva, un jeune du quartier abattu par un policier.

 

Le maire Gérald Tremblay est à la campagne à Saint-Hippolyte. Rivé à son écran de télévision, il parle régulièrement au chef de police, Yvan Delorme. Il voit les vitrines fracassées, les voitures brûlées, le quartier qui flambe.

Malgré les images apocalyptiques qui éclaboussent sa télé, Gérald Tremblay décide de rester à la campagne. Ce soir-là, l'hôtel de ville est plongé dans le silence. Un long silence que le maire brisera à 11h le lendemain lorsqu'il convoquera enfin la presse.

Quand la dalle de béton s'est affaissée au centre-ville l'été dernier, le maire a bondi. Il est arrivé tellement vite que la fissure courait encore sur l'asphalte. Une dalle, c'est moins épeurant qu'une émeute.

J'ai rencontré le maire dans son grand bureau de l'hôtel de ville la semaine dernière. Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas convoqué la presse à minuit pour rassurer la population qui regardait, incrédule, les rues de Montréal-Nord livrées aux pillards.

- En rétrospective, oui, j'aurais dû, a répondu le maire.

- Pourquoi vous ne l'avez pas fait?

- On avait des renseignements selon lesquels la situation était sous contrôle.

- Avez-vous été mal renseigné? Le chef de police a-t-il minimisé l'ampleur de l'émeute?

- M. Delorme était sur le terrain avec M. Parent (le maire de Montréal-Nord) et M. Dauphin (le responsable de la sécurité publique).

- Et ils vous disaient que tout était sous contrôle?

- Ils me disaient: on gère la situation.

- Mais vous aviez la télévision, vous pouviez voir les images, l'escalade, le dérapage.

- Oui, oui, le dommage était fait.

Une réponse molle.

Un leadership mou.

Personne n'a pressenti la colère de Montréal-Nord, personne n'a vu le vent de colère se lever et enfler jusqu'à l'explosion.

«J'ai été surpris, je ne pensais pas qu'on était rendu là», m'a confié l'ancien bras droit du maire, Frank Zampino.

«À Montréal-Nord, il y a quelque chose qui a sauté et on est en train de regarder tout ça», a dit de son côté le chef de police, Yvan Delorme.

Aujourd'hui, tout le monde essaie de comprendre. M. Tremblay a sa théorie. «C'est le cri de colère des jeunes qui veulent s'exprimer et être écoutés, croit-il. Les gens cherchent de l'attention, de l'affection, de l'amour, une famille.»

De l'amour? De l'affection? La finesse de l'analyse me scie.

M. Tremblay a une solution: créer six chantiers sociaux.

Montréal-Nord flambe et le maire propose des chantiers. Une réponse bureaucratique à un problème social aigu.

Lorsque le maire m'a expliqué ses chantiers, j'ai failli m'endormir. Pourtant, il est sincère. Il est bouleversé par les émeutes de Montréal-Nord.

Voici comment la chose fonctionne. La Ville a consulté les travailleurs communautaires de Montréal-Nord afin d»identifier les problématiques et trouver des pistes de solution».

«Les groupes communautaires vont s'approprier ces problématiques et revenir avec des solutions à court terme», a expliqué M. Tremblay.

S'approprier. Ça ne veut rien dire. Ne manque qu'une compétence transversale pour embrouiller le tout.

Ce n'est pas la première fois que Gérald Tremblay mise sur les chantiers. Lorsqu'il s'est présenté à la mairie de Montréal en 2001, il a découpé son programme électoral en neuf chantiers. Dans sa liste, beaucoup de voeux pieux: réhabiliter les infrastructures, favoriser la prévention de la criminalité

En 2007, M. Tremblay a dévoilé son plan de transport. Là encore, on retrouvait des chantiers. Vingt et un, pour être exact.

M. Tremblay n'a rien inventé. Au milieu des années 90, Pauline Marois a lancé 10 grands chantiers en éducation dans la foulée des états généraux. Ils ont abouti sur la réforme.

Revenons à Montréal-Nord. Les groupes communautaires ont préparé une «liste de problématiques» regroupées en six chantiers: scolaire, sécurité, emploi, jeunesse, aménagement et famille.

Suit une longue liste d'épicerie: soutenir l'action des commissions scolaires (chantier scolaire), prévenir les incivilités et la délinquance (chantier sécurité), développer l'employabilité (chantier emploi), embellir et aménager les lieux publics (chantier aménagement), etc.

Et l'argent?

Rien. Pour l'instant.

On attend.

On attend quoi? La prochaine flambée de violence?

On prend un quartier en détresse, on le dissèque, puis on le range sagement dans des listes découpées en chantiers.

Mais cette fois-ci, Gérald Tremblay a peut-être raison. Les chantiers ont été élaborés par les groupes communautaires du quartier. Ils n'ont pas été concoctés par des communicateurs payés pour remplir des petites cases sur des grandes feuilles.

C'est la réponse de M. Tremblay au drame de Montréal-Nord. En espérant que cette fois-ci, elle ne finisse pas en eau de boudin.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca