Il m'est arrivé un drôle de truc la semaine dernière. Un bénévole qui travaille pour le péquiste Daniel Turp, dans Mercier, a appelé chez moi. Il faisait du pointage, histoire de vérifier si son candidat est en avance.

Je vous résume la conversation.

- Comment va votre pointage?

- Pas très bien, soupire le bénévole. Daniel Turp va perdre contre Amir Khadir.

 

- Vous pensez que Québec solidaire va gagner?

- Ouais, c'est parti pour ça.

- Êtes-vous certain que vous travaillez pour le Parti québécois?

Il faut dire que Mercier est une drôle de circonscription. Imprévisible, rebelle, le genre qui aime donner des leçons aux politiciens. En 1976, les électeurs ont élu le poète Gérald Godin, envoyant au tapis le premier ministre Robert Bourassa.

Mercier, plantée au coeur de la «république» du Plateau Mont-Royal, s'est transformée en fief du Parti québécois. Mais en 2001, dans un sursaut d'humeur, les électeurs ont chassé le péquiste Claudel Toussaint pour le remplacer par Nathalie Rochefort, la libérale aux cheveux rouges. Une rebelle pour une circonscription rebelle. Humiliante défaite pour le PQ.

En 2003, les péquistes ont repris Mercier. Daniel Turp l'a emporté avec une confortable majorité.

En 2007, nouveau coup de théâtre, le candidat de Québec solidaire, Amir Khadir, talonne Daniel Turp qui l'emporte par seulement 1100 voix.

Si Québec solidaire a une chance d'élire un député lundi, ce sera dans Mercier. Amir Khadir le sait et il met le paquet. Je l'ai rencontré dans un restaurant du Plateau cette semaine. Il est arrivé en retard, sourire enjôleur, allure décontractée avec son col roulé, son foulard noué négligemment autour du cou et ses cheveux noirs en bataille. Sûr de lui.

Les gens le reconnaissent, lui serrent la main, lui souhaitent bonne chance. Il est en terrain conquis dans ce restaurant plus granole que les soeurs McGarrigle.

Amir Khadir ne doute de rien.

Le jour où on va prendre le pouvoir...

Vous pensez que vous allez prendre le pouvoir?

Oui, madame!

Amir Khadir est un militant dans l'âme. C'est de famille, soutient-il. «Mon père était un dissident, il s'est opposé au shah et aux ayatollahs.»

Il a quitté l'Iran à l'âge de 10 ans. Ses parents, des enseignants, ont vécu la dure réalité des immigrants. Son père est devenu chauffeur de taxi et sa mère a fait du ménage dans des hôtels.

Lui, le fils d'immigrant, a étudié en médecine.

Amir Khadir se voit déjà assis dans son fauteuil de député à l'Assemblée nationale. Il a même préparé un discours de prestation de serment. Il veut citer un poème de Gérald Godin: «T'en souviens-tu, Godin, astheure que t'es député, t'en souviens-tu, de l'homme qui frissonne, qui attend l'autobus du petit matin après son shift de nuit...»

Il a aussi choisi les photos qui décoreront son bureau. Elles tapissent les murs de son local électoral. Sur l'une d'elles, des grévistes brandissent une pancarte. On peut y lire: Du pain debout plutôt que du steak à genoux.

Amir Khadir parle avec respect de son adversaire, Daniel Turp. «On se connaît. Je lui ai déjà donné un lift, il n'a pas d'auto. C'est un progressiste, un homme bien. Il a signé le manifeste des solidaires. S'il perd, il ne sera pas si mécontent que ça.»

Daniel Turp proteste gentiment. Lui aussi aime bien Amir Khadir, mais de là à lui concéder la victoire, non!

Et c'est vrai qu'il n'a pas d'auto. Il a conclu un pacte avec son cousin. Ils se sont juré de ne jamais acheter de voiture pour «aider la planète». Il avait 18 ans. Il a tenu promesse. À 53 ans, il n'a toujours pas de permis de conduire.

Daniel Turp est constitutionnaliste, une profession très en vogue par les temps qui courent. Il a fait de gros efforts pour se débarrasser de son image d'intellectuel hautain. Il a renoncé à ses noeuds papillon avec un soupçon de regret.

«On m'a dit que ça me donnait l'air d'un intellectuel débranché, loin du vrai monde. Pauline a ses bijoux, moi, mes noeuds papillon.»

Pourtant, il a connu une enfance modeste. Il a grandi à Verdun et son père était vendeur de tuyaux.

Khadir a le vent dans les voiles. Les verts mènent une campagne «tranquille», ils lui laissent le terrain libre, et Robert Perreault, ex-ministre péquiste et ancien député de Mercier, a décidé de laisser tomber le PQ pour appuyer Khadir.

Daniel Turp fait la moue. «Depuis 2001, Robert n'a pas de bons mots pour nous.»

Daniel Turp arpente les rues de Mercier et salue ses électeurs. Poli, courtois. Il fait le tour des commerces pour vérifier s'il n'y a pas d'affiches en anglais. Dans la rue, il croise le bouillant cinéaste Pierre Falardeau, un drapeau du Québec collé sur sa tuque.

Pierre Falardeau me regarde d'un air mauvais. La Presse? «Vous avez parlé de la maison de Mme Marois, mais vous n'avez rien écrit sur celle de Jean Charest!» crache-t-il. Il part en coup de vent. La rencontre a duré 30 secondes.

«En 2007, il m'a donné un coup de main», précise Daniel Turp.

///////////////

La candidate libérale, Catherine Émond, est discrète. Elle a travaillé quelques mois pour la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne. C'est la première fois qu'elle se présente dans une circonscription. Et elle est tombée sur Mercier.

«Mme Courchesne m'a demandé de bien la traiter», lance Daniel Turp en riant.

Catherine Émond s'est levée aux aurores pour distribuer des dépliants dans l'entrée du métro balayée par des courants d'air. Il pleut, les gens sont maussades. Elle n'ose pas leur fourguer son dépliant. Elle murmure un bonjour timide d'une voix flûtée.

«On reçoit beaucoup d'amour pendant une campagne électorale», dit-elle.

Ce matin-là, à la station Laurier, l'amour n'était pas au rendez-vous.

Pendant que Khadir, Turp et Émond ratissent la circonscription, flirtent avec les électeurs au petit matin et courent les bingos et les restaurants, la candidate de l'ADQ, Élisa Fortin-Toutant, 22 ans, est invisible.

«Elle n'a pas le temps de vous rencontrer, elle se concentre sur sa campagne qui est très terrain», m'assure la relationniste de l'ADQ.

Quel terrain? Celui de l'université où elle étudie en éducation physique ou celui du centre de gym où elle travaille?

Elle n'a pas de local électoral et ses adversaires ne la voient jamais. L'ADQ a des croûtes à manger. Il en faut plus pour séduire une circonscription aussi rebelle que Mercier.

 

RÉSULTATS EN 2007 DANS MERCIER

Daniel Turp, PQ 33,35%

Amir Khadir, QS 29,38%

Nathalie Rochefort, PLQ 19,82%

Sylvain Valiquette, Parti vert 8,48%

Gabriel Tupula Yamba, ADQ 8,42%