Ronnie n'aime pas Noël. Elle ne l'a jamais aimé. Son grand-père est mort un 25 décembre. Sa mère et sa grand-mère étaient tristes.

«Noël a toujours été très tranquille», dit Ronnie.

Elle n'aime pas décembre non plus. Un mois pourri pour les affaires. Ronnie est une prostituée.

 

Elle n'a rien d'un mannequin. Petite, rondelette, visage ingrat, 41 ans. Elle ne se fait aucune illusion sur son physique.

Mais elle insiste: il y a un marché pour les femmes comme elles. «J'ai beaucoup de clients qui n'aiment pas les grandes maigres de 19 ans. Ils n'ont pas envie de coucher avec un clone de leur fille.»

C'est en feuilletant le journal qu'elle a décidé de plonger dans l'univers de la prostitution. C'était en 2003, elle sortait d'un burn-out. Elle avait travaillé pendant 10 ans comme vendeuse. Elle n'avait pas de travail, pas d'argent, zéro énergie. Elle venait aussi de mettre fin à une douloureuse histoire d'amour.

«Hôtesses demandées pour échanges sexuels sur l'internet», a-t-elle lu dans le journal.

«Pourquoi pas?» s'est-elle dit.

Elle s'est retrouvée dans un minuscule studio. Elle se masturbait devant une caméra, étendue sur un futon. Entre deux clients virtuels, elle dormait. Salaire: 12$ l'heure.

Elle a vite troqué son studio miteux pour les agences d'escorte. Son salaire a grimpé: 75$ l'heure. Elle acceptait de faire des extras et empochait l'argent sans le dire à ses patrons. «Cinquante dollars pour pisser sur un client ou le masturber avec mes pieds, dit-elle. Il y en a même un qui m'a demandé s'il pouvait me cracher dessus. J'ai accepté. J'avais vraiment besoin d'argent.»

Elle a ensuite plaqué les agences pour se lancer à son compte. «Elles étaient incapables de me vendre. Elles me trouvaient trop vieille ou trop grosse. Je me suis dit que je pouvais faire mieux. Après tout, j'avais été vendeuse pendant 10 ans. La vente, ça me connaît.»

Elle s'est bricolé un site web. Tarif demandé: 250$ pour une heure.

La prostitution lui a permis de s'extirper de la misère. Elle voyage parfois avec des clients. Elle a même été à Hawaii. Elle en a aussi profité pour retourner à l'université. Elle termine un bac en psychologie avec une mineure en sexologie.

Ronnie m'a reçue chez elle. Un petit quatre-pièces à Longueuil. Elle avait emménagé deux semaines plus tôt. Son appartement était sens dessus dessous: boîtes de carton éparpillées un peu partout, comptoirs de cuisine encombrés. Son colocataire, un jeune obèse, était scotché devant l'ordinateur.

Ronnie vient d'un milieu pauvre: mère assistée sociale, père absent. «Il n'a jamais été là pour moi», laisse-t-elle tomber avec une pointe d'amertume.

Elle aime son travail pour l'indépendance qu'il lui procure. Et pour l'argent. En 2006, elle a fait plus de 100 000$, mais un grave accident d'auto l'a ralentie. Elle a mal au dos. Elle a moins de clients. Et sa santé reste fragile, elle carbure aux antidépresseurs.

Elle exauce les fantasmes des hommes. «Hier, je me suis habillée en infirmière cochonne», lance-t-elle en riant.

Elle en voit de toutes les couleurs. Elle a déjà couché avec un handicapé. Le bas de son corps était paralysé. Il lui a dit: «Tu es la première personne qui me fait me sentir comme un homme et non comme un problème médical.»

Les hommes sont assoiffés de tendresse. Ils ont besoin d'être touchés, caressés, explique-t-elle. Son plus vieux client avait 83 ans. Il avait perdu sa femme deux ans plus tôt. Il crevait de solitude.

Noël, c'est la fête où les gens qui crèvent de solitude se sentent encore plus seuls. Une solitude moche, saturée d'anxiété, remplie de vide. Les clients se font rares.

«J'ai déjà eu un client le 24, le soir du réveillon, raconte Ronnie. C'était un homme dans la quarantaine. Un homme ordinaire qui ressemble à la plupart de mes clients. Je suis allée dans un magasin à 1$ et j'ai acheté des chandelles et du chocolat.»

Pour l'instant, Ronnie n'a rien de prévu le 24 et le 31 décembre. Elle va passer du temps avec des amis, à moins qu'un client l'appelle à la dernière minute.

Joyeux Noël quand même, Ronnie.

Courriel Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca