Mercredi matin, 9h30, l'autobus sur Christophe-Colomb est en retard. Encore. Deux-trois flocons tombent sur la ville, assez pour perturber les transports en commun. Pourtant, on est loin de la tempête.

Je me résigne à prendre le métro. Pourquoi n'ai-je pas pris mon vélo? Je bougonne en glissant sur les trottoirs. Maudits trottoirs glacés. Quand je pense que le frère du maire, Marcel Tremblay, grand responsable du déneigement, a conseillé aux Montréalais de s'acheter des crampons. Des crampons !

J'imagine mon père de 87 ans en train d'enfiler ses crampons pour aller au coin de la rue acheter une pinte de lait.

Au métro Mont-Royal, j'essaie de réapprovisionner ma carte Opus. Je tente plusieurs fois d'insérer ma carte de débit dans la machine en tenant mon journal, ma tuque, mes mitaines et mon porte-monnaie. Rien à faire. Il fait froid, des courants d'air glacés balaient le métro.

Je me dirige vers la préposée enfermée dans sa cage vitrée. Elle parle au téléphone et m'ignore royalement. Je patiente, moi, la grande impatiente. Elle raccroche tranquillement et me jette un regard blasé. Elle me parle à travers la vitre, mais je n'entends qu'un vague marmonnement.

Elle ouvre finalement son micro. «J'peux rien faire avec ça, moi», lâche-t-elle en fixant ma carte de débit.

Un jeune homme, qui attend derrière moi, me lance, cynique : «Vous pensez encore obtenir du service de la STM, vous?»

Je me sens stupidement naïve.

Je retourne devant la machine récalcitrante en tenant mon journal, mes mitaines, ma tuque et mon porte-monnaie, et je m'obstine à insérer ma carte de débit dans tous les sens en luttant contre les courants d'air. Ça marche.

La machine ne parle pas, mais elle, au moins, ne me fait pas d'air bête.

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Pourquoi je vous raconte mes petites misères du mercredi matin ? Parce que j'arrive de Barcelone où j'ai passé une semaine. Une ville belle comme tout et qui a un système de transports en commun qui fonctionne au quart de tour. Le métro marche drôlement bien. Silencieux, rapide, il se faufile dans tous les coins de la ville.

Le contraste est saisissant avec Montréal.

D'abord, il ne fait pas froid. La température oscillait entre 10 et 15 degrés avec un soleil éblouissant qui réchauffait les gens assis aux terrasses. Pendant ce temps, les Montréalais crevaient de froid.

À mon retour dans la vallée glacée du Saint-Laurent, mon corps n'a pas supporté le choc thermique. Je suis passée de +12 degrés à -20 et quelque. J'ai attrapé un rhume, avec, en prime, un mal de gorge qui a aiguisé ma mauvaise humeur et mon regard noir sur Montréal.

Barcelone a une montagne, le Montjuich. Les Barcelonais ne passent pas la moitié de leur temps à grimper dans les rideaux pour empêcher le premier entrepreneur venu de tapisser les flancs du Montjuich de condos, contrairement à Montréal.

La ville est belle, disais-je. De grandes artères la traversent, dont La Rambla qui part du centre-ville et finit sur une plage de sable qui donne sur la mer Méditerranée.

Au centre de La Rambla, un immense trottoir où les gens déambulent tranquillement. Les autos circulent de chaque côté de cette esplanade. Elles ont moins de place que les piétons.

Ici, la rue Sainte-Catherine a parfois des airs de fin du monde et le fleuve Saint-Laurent est caché par le port. Au moins, on a la plage Doré. Un début.

Quand je suis revenue à Montréal, j'ai trouvé la ville moche, grise, sans imagination. Pétrifiée.

J'ai eu honte de ma ville qui a pourtant du potentiel : le fleuve, la montagne, l'espace. Mais ici, rien ne bouge. Ou si peu. Tout est tellement long, lent, compliqué, englué dans une structurite aiguë. Misère.

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C'est la faute des administrations passées, nous disent les élus municipaux. Sauf que Gérald Tremblay est au pouvoir depuis huit ans. Deux mandats, une éternité en politique.

Le passé commence à avoir le dos large. Surtout que Sammy Forcillo, vice-président du comité exécutif, responsable des finances, est à la Ville depuis la nuit des temps. Ou presque.

Forcillo était président du comité exécutif sous Pierre Bourque, triste époque où Montréal bradait ses actifs pour boucler son budget et s'enorgueillissait de ne pas faire de déficit. Par contre, elle laissait ses infrastructures se détériorer, pour ne pas dire pourrir sur pied.

Quand je suis revenue de Barcelone, j'ai retrouvé une ville aux abois. Ses conduites d'eau éclataient sous la pression du froid. La ville est vieille et elle a besoin d'être sérieusement rafistolée, ne cesse de répéter le maire Tremblay.

C'est vrai, mais Barcelone est beaucoup plus âgée que Montréal. Pourtant, c'est Montréal qui a l'air d'un petit vieux irascible. Pas Barcelone qui, elle, a les allures d'une jeune femme même si elle a plusieurs siècles dans le corps.